Ingérence étrangère, narco-trafic… L’enquête sur les attaques contre les prisons françaises pourrait mener à une tout autre piste : celle de l’ultra-gauche.
Attaques des prisons françaises : l’ultra-gauche suspect numéro 1 ?


C’est une piste qui n’avait pas été imaginée de prime abord concernant la vague d’attaques coordonnées qui ont visé plusieurs prisons françaises du 14 au 15 avril 2025. Lors des premières heures de l’enquête, le gouvernement évoquait pêle‑mêle le narcotrafic, le terrorisme ou même une ingérence étrangère. Mais depuis le 16 avril 2025, c’est une tout autre hypothèse qui mobilise désormais les autorités : celle d’un groupe structuré de l’ultragauche.
Des attaques coordonnées sur plus d’une dizaine de prisons
Dans la nuit du 13 au 14 avril 2025, plusieurs véhicules sont incendiés sur le parking de l’École nationale d’administration pénitentiaire (Énap) à Agen. Quelques heures plus tard, des feux volontaires sont signalés à la prison du Sud‑Francilien. La vague d’attaques se poursuit les 14 et 15 avril, avec des incidents rapportés à Toulon‑La Farlède, Tarascon, Meaux, Nanterre, Valence, Villepinte, Aix‑Luynes, Toulon et Toulouse‑Seysses.
En tout, au moins 11 prisons françaises ou sites liés à l’administration pénitentiaire ont été visés. Les faits recensés comprennent des incendies de 21 véhicules, des tirs d’armes à feu contre des infrastructures, des jets de cocktails Molotov, ainsi que des menaces ciblées contre des agents pénitentiaires, parfois jusqu’à leur domicile. Seule trace laissée par les criminels, un tag : « DDPF ».
Des établissements pénitentiaires font l’objet de tentatives d’intimidation allant de l’incendie de véhicules à des tirs à l’arme automatique. Je me rends sur place à Toulon pour soutenir les agents concernés. La République est confrontée au narcotrafic et prend des mesures qui…
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) April 15, 2025
Une piste remontée via un canal Telegram
Suite à l'ouverture d'une enquête pour association de malfaiteurs terroriste à visée criminelle par le Parquet national antiterroriste (PNAT), le mardi 15 avril 2025, les enquêteurs découvrent qu'un canal Telegram baptisé « DDPF » – pour « Défense des droits des prisonniers français » – a été créé le 12 avril 2025, soit la veille des premières attaques contre les prisons. Le lien semble de prime abord évident.
Sur cette messagerie cryptée, les messages sont explicites. Le groupe DDPF publie sur son canal un manifeste dénonçant le régime carcéral français, tout en visant particulièrement la politique du ministre de la Justice, Gérald Darmanin. « Tous les détenus de France doivent se mobiliser et se réveiller. L'heure est grave : nous entrons dans une époque dangereuse et inquiétante pour l'avenir de la population carcérale », peut‑on lire dans un message capté avant sa suppression, rapporte Le Point. Les messages vont de photomontages de Gérald Darmanin à des appels à la mobilisation des détenus, en passant par des vidéos montrant des véhicules incendiés, jusqu’à des appels explicites à la violence contre des agents pénitentiaires, certains étant nommément désignés. Le style est virulent, menaçant, et plus inquiétant encore, il incite explicitement au passage à l'action.
Un ancrage idéologie plus que marqué
Les enquêteurs de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) identifient des formats de communication typiques des groupuscules anarcho-autonomes. Le ton, les visuels et la structure des publications ne laissent guère de doute aux autorités, qui y reconnaissent les codes utilisés par certains collectifs d’ultragauche.
Certains éléments de communication observés sur le canal Telegram suggèrent une structuration et une stratégie de diffusion typiques de certains milieux militants. D'autre part, si le groupe DDPF prend soin de ne pas revendiquer directement les violences, arguant qu’« ils ne sont pas des terroristes, nous sommes là pour défendre les droits de l'homme à l'intérieur des prisons », tout en les soutenant dans le cadre de sa lutte contre « l’État carcéral » pour dénoncer les « humiliations subies par les détenus », celui-ci aurait assuré sur son canal – et c’est ce qui est le plus inquiétant – « se déployer dans toute la France » (France Info).
Coup d'essai ou instrumentalisation ?
Les autorités ont d’abord privilégié des pistes toutes autres. Il y a eu celle du narcotrafic, évoquée à plusieurs reprises par le ministre de la Justice Gérald Darmanin lui-même, qui y voyait une réaction possible aux mesures coercitives prises contre les réseaux criminels : création de prisons de haute sécurité, limitation des visites, généralisation des visioconférences judiciaires. L’ingérence étrangère a également été envisagée, notamment la Russie, qui fait généralement figure de suspect par défaut avant ouverture d'une enquête.
L’hypothèse que l’ultragauche serve de paravent à un vaste réseau criminel n’est pas non plus à exclure. Quoi qu'il en soit, la piste de l'ultragauche, et celle de son éventuelle instrumentalisation, n’est pas à prendre à la légère. Dans les deux cas, elle pourrait faire figure de prémices d’une nouvelle forme de menace interne pour la France.
Depuis mardi, la SDAT (Sous‑Direction antiterroriste) a renforcé ses opérations. Une première interpellation a eu lieu en Essonne, visant un ancien détenu en semi‑liberté. Les autorités examinent désormais la possibilité d’un noyautage du mouvement par des profils politisés. Reste à savoir si la poursuite de l’enquête permettra de découvrir qui se cache réellement derrière ces attaques ainsi que derrière ce canal Telegram.

Diplômée en sciences politiques et relations internationales, journaliste chez Économie Matin & Politique Matin.