À l’heure où les tensions internationales redessinent les priorités des États, l’Europe renoue avec l’effort de défense à marche forcée. En son sein, la France réarme, mais à quel coût et avec quelle ambition face aux géants mondiaux ?
Armement : la France a dépensé 64 milliards en 2024, le monde près de 3.000

La publication du rapport annuel du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) le 28 avril 2025 lève le voile sur une accélération historique des dépenses militaires mondiales. Si les États-Unis et la Chine dominent outrageusement, l'Europe redevient un acteur incontournable, portée par des dynamiques budgétaires inédites depuis la fin de la Guerre froide. Au sein de ce mouvement continental, la France avance avec méthode, entre nécessité stratégique et contraintes budgétaires sévères.
Défense : Une Europe qui réarme sous pression stratégique
En 2024, les dépenses militaires européennes ont atteint 693 milliards de dollars, soit une hausse de 17 % par rapport à l’année précédente. L'Union européenne seule a consacré 370 milliards de dollars à sa défense, témoignant d'une intensification sans précédent de l'effort budgétaire. À l’échelle mondiale, cela place l’Europe juste derrière les États-Unis et la Chine en termes de poids financier.
Cette montée en puissance trouve son origine dans une double inquiétude : la menace persistante incarnée par la Russie, dont les dépenses militaires ont bondi de 38 % pour atteindre 149 milliards de dollars en 2024, et la crainte d’un désengagement stratégique américain du Vieux Continent. Pour la première fois depuis la réunification, l'Allemagne est devenue la première puissance militaire en Europe de l'Ouest en termes budgétaires, investissant 88,5 milliards de dollars (+28 %), dépassant ainsi l'Inde sur la scène internationale.
Pour autant, cette effervescence budgétaire européenne masque des disparités criantes entre États membres et soulève des interrogations sur la cohérence industrielle et opérationnelle du réarmement entrepris.
La France : un effort soutenu, mais des marges de manœuvre limitées
En 2024, la France a consacré 64,7 milliards de dollars à son effort de défense, enregistrant une progression de 6,1 % par rapport à 2023. Ce budget, en hausse mais modérée, reste conséquent à l’échelle européenne, positionnant la France au troisième rang continental derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni.
Cet investissement répond directement aux orientations fixées par la nouvelle Loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, qui prévoit une enveloppe globale de 413 milliards d'euros sur sept ans. En dépit de cette ambition, plusieurs experts soulignent que la France reste loin des objectifs affichés par l'OTAN pour certains postes critiques, notamment en matière de stocks de munitions, de capacités de haute intensité ou de souveraineté industrielle.
La dépendance persistante à l'égard de certains équipements importés, notamment américains, est pointée du doigt, malgré une stratégie affichée d'autonomie stratégique européenne. Comme l'analyse Jade Guiberteau Ricard du SIPRI : « Augmenter les dépenses ne se traduira pas nécessairement par des capacités militaires significativement accrues ou par une indépendance vis-à-vis des États-Unis. »
Sur le terrain, la France mise sur plusieurs grands programmes : modernisation de la dissuasion nucléaire (rénovation des sous-marins SNLE 3G, missile M51.3), renouvellement de l'aviation de chasse avec les Rafale F4, acquisition de blindés SCORPION et investissements croissants dans la cybersécurité et l’espace. Toutefois, ces programmes majeurs pèsent lourdement sur un budget déjà contraint par les exigences sociales et financières internes.
Dépenses dans la Défense : une perspective mondiale inquiétante
Au niveau global, les 2 718 milliards de dollars dépensés en 2024 pour la défense traduisent un basculement durable vers une logique de confrontation. Les États-Unis conservent leur leadership incontesté avec 997 milliards de dollars (+5,7 %), devant la Chine à 314 milliards (+7 %) et la Russie à 149 milliards (+38 %).
En comparaison, l'effort budgétaire européen reste globalement modeste si l'on considère les ambitions stratégiques affichées. Si l'on additionne les budgets militaires des États membres de l'UE, la puissance financière théorique est colossale, mais dans les faits, la fragmentation industrielle et doctrinale réduit l'efficacité collective de cet investissement.
L'Asie, pour sa part, accélère sa militarisation. Le Japon a augmenté ses dépenses de 21 %, atteignant 55,3 milliards de dollars, tandis que la Corée du Sud consacre désormais 50,2 milliards de dollars (+6 %) à sa défense. Cette course régionale à l'armement pourrait avoir des conséquences lourdes, comme le souligne Nan Tian du SIPRI : « Ces investissements risquent d’entraîner la région dans une spirale dangereuse de course aux armements. »
Dans ce contexte d’accélération généralisée, la France, comme l'ensemble des pays européens, se retrouve confrontée à une équation budgétaire de plus en plus complexe : investir davantage pour répondre aux menaces nouvelles tout en maintenant des équilibres internes fragiles.
La trajectoire budgétaire de la défense française en 2024 témoigne d'une prise de conscience certaine, mais également d'une tension croissante entre ambition stratégique et réalité financière. Alors que c’est le grand retour d’un monde dominé par la compétition militaire, l'Europe, et en son sein la France, devront arbitrer plus fermement encore entre souveraineté, coopération et efficacité pour espérer peser demain dans un ordre international en recomposition rapide.