Les atteintes aux droits humains se multiplient en Guinée. Il est temps pour les pays soucieux de démocratie, à commencer par la France, de réagir en usant des moyens offerts par les traités internationaux.
Réélu à la tête du pays en octobre dernier, le président de Guinée Alpha Condé s’est lancé depuis dans une véritable chasse à l’opposition. Ces derniers mois, la police s’en est prise aussi bien à des leaders politiques qu’à des anonymes, « coupables » d’avoir pris part aux manifestations organisées pour protester contre la réforme de la Constitution autorisant le chef de l’Etat à concourir à un troisième mandat, prélude à sa réélection controversée.
Cellou Dalein Diallo et Amnesty International montent au créneau
D'après Amnesty International, au moins 400 militants et membres de la société civile ont été arrêtés dans le cadre de ces protestations pacifiques. Quatre personnes dont trois militants ou sympathisants du principal parti d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) sont mortes durant leur détention provisoire à la prison centrale de Conakry.
« Nous sommes à la 260ème mort à la suite de la violence d’état exercée sur les pauvres citoyens depuis que monsieur Alpha Condé est au pouvoir. Ça se répète, il n’y a pas de suite. Il n’y a pas de justice ; il n’y a pas de compassion. Et c’est vraiment triste pour notre pays… » déplorait récemment le président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) Cellou Dalein Diallo.
Des conditions de détention jugées inhumaines
L’enquête d’Amnesty montre comment ces prisonniers ont été laissés sans soins par leurs geôliers, lesquels, en l’absence d’enquête, ont conclu à des « décès naturels ». D’après l’expert Afrique de l’organisation internationale, les lieux de détention concernés « sont de notoriété publique des mouroirs où les règles du droit international pour le traitement des détenus ne sont pas appliquées ». Ainsi, la prison centrale de Conakry compte un seul médecin pour 2000 détenus, alors même que sa capacité d’accueil est de 300 personnes. Les conditions de détention y sont qualifiées d’« inhumaines ».
Outre ces pratiques dégradantes, l’organisation dénonce un non respect des droits de la défense, qui se traduit par des délais de jugement déraisonnables et l’incapacité pour certains détenus d’avoir accès à un avocat.
Alpha Condé en pleine dérive illibérale ?
Cette dénonciation survient dans un contexte de plus en plus délicat pour le pouvoir guinéen. La décision d’Alpha Condé de se maintenir à la tête de l’Etat, quitte pour cela à fomenter une révision constitutionnelle, a provoqué l’ire de ses alliés historiques, en particulier de la France. C’est peu dire qu’Emmanuel Macron et son équipe n’ont pas apprécié la manoeuvre, au point de faire souffler un vent glacial sur les relations avec Conakry. Naguère habitué des voyages à Paris, Alpha Condé ne s’y est pas rendu une seule fois depuis sa réélection.
La réaction de ses alliés traditionnels semble avoir accéléré le rapprochement de la Guinée avec la Turquie et la Russie. Les investissements d’Ankara en Guinée ont connu ces dernières années une hausse remarquable, au point que le ministre des Affaires étrangères turc était présent à la récente cérémonie d’investiture du président Condé. Celui-ci peut également compter sur le soutien de Vladimir Poutine qui a soutenu la révision constitutionnelle par l’intermédiaire de son ambassadeur à Conakry. Signe du rapprochement en cours, M Condé s’est rendu à Moscou trois fois en quatre ans.
Les accords de Cotonou, levier de pression sur le pouvoir guinéen
Les partenaires de la Guinée souhaitent obtenir d’Alpha Condé un rétablissement de l’Etat de droit. Pour cela, il existe un instrument tout indiqué : l’accord de Cotonou. Conclu en 2000 entre l’Union européenne et les pays de la zone Afrique Caraïbe Pacifique (ACP), cet accord régit les relations politiques, commerciales et de coopération au développement entre les deux parties. Les droits de l’Homme en constituent le pilier inébranlable. Les articles 96 et 97 prévoient des sanctions en cas de manquements à l'Etat de droit. Ces vingt dernières années, ils ont déjà été invoqués pour dénoncer des entorses de la part du Zimbabwe, de la République centrafricaine, de la Guinée-Bissau, du Togo, de Madagascar et du Burundi.
Forts de ces précédents, les partenaires de la Guinée pourraient aujourd’hui exiger la mise en place d’une médiation internationale, avec enquêtes de terrain. En cas de refus de Conakry ou de manquements constatés, cette médiation pourrait se traduire par des sanctions. On sait combien l’arme des représailles économiques est délicate à manier. Mal utilisée, elle peut conforter le pouvoir en place et porter préjudice aux seules populations. Mais on peut compter sur les chancelleries européennes pour frapper juste et fort. A condition qu’elles entérinent l’existence d’un problème guinéen.