En pointe dans la lutte contre le crime financier, Bruxelles publie chaque année une « liste noire » de pays à « haut risque » de blanchiment de capitaux. Mais la méthodologie sur laquelle repose ce classement n'est pas sans défaut, comme en témoigne la présence sur la dernière liste en date de l'île Maurice, du Ghana ou du Botswana, dont les efforts en matière de gouvernance sont pourtant régulièrement salués.
L’affaire « Danske Bank » - et le blanchiment de quelque 200 milliards d'euros au sein de l’Union européenne par la première banque danoise - aura laissé des traces. Confrontée à des scandales financiers à répétition, l'UE a fait de la lutte contre le blanchiment de capitaux l'une de ses principales priorités. Et pour cause : «1 % des richesses de l’Union européenne sont impliquées dans des activités financières suspectes » soit « l’équivalent du budget annuel de l’UE », rappelait l’an passé la commissaire européenne Véra Jourová. Depuis 2016, les 27 ont donc considérablement renforcé leurs exigences en matière de transparence et dressent, à intervalles réguliers, des « listes noires » des pays encourageant ou facilitant le blanchiment d'argent.
Au début du mois de mai, la Commission européenne a rendu publique une nouvelle « approche globale pour renforcer (…) la lutte de l'UE contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme », articulée autour d'un « plan d'action » reposant sur six piliers (appliquer les règles de l'UE, coordonner le renseignement financier entre Etats membres, etc.). En application d'une directive anti-blanchiment, la Commission a également publié une nouvelle liste des « pays tiers à haut risque dont le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux (…) présente des carences stratégiques ».
Une méthodologie discutable
Le blanchiment d'argent consiste, selon la définition qu'en donne le Groupe d'action financière (GAFI) – l’organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme – « à retraiter (des) produits d’origine criminelle pour en masquer l’origine illégale. Ce processus revêt une importance essentielle puisqu’il permet au criminel de profiter de ces bénéfices tout en protégeant leur source ». Les infractions dont les revenus sont considérés comme de l'argent « sale » sont très précisément listées par le GAFI et comprennent, par exemple, les activités illicites ou encore la fraude fiscale. Le montant total de ces pratiques diverses et variées de blanchiment est estimé par l’Organisation des Nations unies (ONU) entre 1 600 et 4000 milliards de dollars par an, soit entre 2 % et 5% du PIB mondial.
Si la lutte contre ce phénomène délétère ne souffre pas de contestation, la manière dont la liste est établie par l'Union européenne est, en revanche, sujette à caution. Ainsi de la dernière « liste noire » européenne en matière de lutte contre le blanchiment d'argent, publiée au sortir de la crise sanitaire due au Covid-19 : parmi les pays jugés à « haut risque » figurent ainsi cinq pays africains – le Botswana, le Ghana, l’Ouganda, l'île Maurice, et le Zimbabwe.
Mis à l'index au pire moment, ces pays en développement vont dès lors connaître de nouvelles difficultés pour accéder aux capitaux internationaux dont ils ont cruellement besoin. Certains d'entre eux, comme le Ghana, le Botswana ou l'île Maurice, sont par ailleurs régulièrement cités parmi les bons élèves africains et se font remarquer par leurs efforts soutenus en matière de bonne gouvernance, ce qui interroge sur le choix de l'UE de les intégrer dans sa liste noire.
La liste du GAFI, seule dont la méthodologie est éprouvée
La méthodologie de la classification opérée par Bruxelles – publiée le même jour que sa liste noire, donc sans droit de réponse des pays incriminés – demeure « discutable » (sans garder le caractère nuancé des critères du GAFI qui distinguent les juridictions sous surveillance et celles à hauts risques), « dysfonctionnelle » (car trop technique et confidentielle) et « brouillonne », et ce alors qu'il apparaît que plusieurs pays alliés des Etats-Unis, mais aux pratiques contestables, ont été exclus de cette même liste.
Au lieu de publier une liste parallèle incomplète (quid des îles Vierges britanniques, des Bahamas, des îles Caïmans etc. ?) dont la lecture est sujette à caution, l'UE ne devrait-elle pas plutôt s'en référer aux seuls critères du GAFI, groupe de référence mondiale en matière de lutte contre la criminalité financière, qui publie une liste à la méthodologie éprouvée ?