Pour Emmanuel Macron et la République En Marche, les élections européennes ont apporté une relégitimation qui était loin d’être acquise. La lecture des résultats peut conforter cette lecture. Toutefois, à y regarder de plus près, la situation est plus complexe qu’il n’y paraît et le scrutin européen marque un statu quo dans le rapport de force interne qui pourrait se révéler dangereux pour le pouvoir en place. Les conditions sont réunies pour un rebond des « Gilets Jaunes ».
On peut comprendre pour quelle raison Emmanuel Macron considère que les élections européennes l’ont relégitimé après la crise des Gilets Jaunes. Avec un peu plus de 5 millions de voix, le Président peut considérer qu’il a retrouvé un soutien populaire très supérieur aux 2,6 millions de voix décrochées par l’Union de la Gauche au même scrutin de 2014. En ce sens, le gouvernement a raison de ne pas se considérer comme désavoué par les Français.
Une victoire de l’orléanisation macronienne
Encore faut-il comprendre l’origine de ces 5 millions d’électeurs qui ont porté leurs voix sur une liste pro-européenne et présidentielle massivement soutenue par Emmanuel Macron lui-même. On y verra d’abord le triomphe de cette orléanisation du Président que nous évoquons régulièrement.
Rappelons ici que la construction de la liste aux européennes s’est largement appuyée sur les juppéistes dont Edouard Philippe s’impose de plus en plus comme le leader naturel. Nathalie Loiseau elle-même appartient à cette famille politique.
Sans surprise, c’est donc du côté de la droite juppéiste que Macron a trouvé ses 5 millions de voix. L’échouage complet de François-Xavier Bellamy l’a prouvé.
LREM, premier parti de droite
Comment comprendre autrement la réduction comme peau de chagrin des électeurs républicains, si ce n’est par cette intrusion désormais constante et consolidée de LREM sur son pré carré ?
Quelques jours avant que François-Xavier Bellamy ne condamne l’euthanasie, sa liste était encore créditée de 12 ou 13% selon les sondages. La liste macroniste plafonnait à 22%. Il a suffi que Bellamy tombe le masque des idées modernes et assume son conservatisme pour que son score s’effondre. D’un coup, il venait de réduire LR à son socle conservateur, dont on sait qu’il pèse aujourd’hui environ 8% de l’électorat.
Pendant que les écologistes mobilisait les abstentionnistes, Macron mobilisait les déçus du Bellamysme, faisant de LREM le premier parti de droite.
Un score à comparer aux autres grandes listes européennes
Sur ce pari juppéiste, Macron a réussi son coup et, à l’échelle française, il peut se targuer d’avoir endigué l’hémorragie à laquelle son parti était exposé. Peut-il pour autant triompher?
En comparant son résultat à celui des autres partis de gouvernement en France, on peut se poser quelques questions et douter sérieusement des déclarations triomphales de la majorité (certains journalistes thuriféraires ont même parlé de victoire de Macron et de défaite du FN ce dimanche). En effet, les autres gouvernants européens ont fait beaucoup mieux que lui.
Ainsi, la coalition allemande remporte près de 40% des voix. Salvini en Italie dépasse les 35%. Les gouvernants qui ont fait d’aussi mauvais score ont tous pris des décisions radicales. Theresa May a démissionné. Tsípras, avec 23% des voix, a dissous l’Assemblée grecque. Ces exemples pourraient faire réfléchir Macron.
Le risque de ne pas suivre l’exemple de Tsípras
Si Macron, avec un score plus faible que celui de Tsípras, s’estime conforté là où le Premier Ministre grec dissout, c’est bien qu’il y a un problème dans la conception démocratique qui habite Macron. En France, on s’est habitué à gouverner sans majorité, et même contre la majorité, et l’on trouve facilement des commentateurs politiques pour expliquer que cela s’appelle la démocratie.
En l’état, on voit bien que les 5 millions de voix (sur un corps électoral qui en compte dix fois plus) obtenues par le Président de la République sont plus une impasse qu’une solution. Elles justifient un maintien de cap arc-bouté sur des intérêts particuliers: ceux d’une élite urbaine, européenne, mondialisée, tournée vers une forme de modernité affranchie des grandes valeurs identitaires.
Pendant ce temps, les raisons de la colère qui a éclaté en novembre n’ont pas disparu. Elles sont intactes, et même renforcées, sédimentées. Le sentiment qu’une partie grandissante du pays nourrit, est celui d’une surdité assumée du pouvoir.
L’échec du virage écologique est inquiétant
On veut pour preuve de ce sentiment d’échec l’incapacité finale de Macron à rallier le vote écologiste, pourtant précaire jusqu’à la dernière minute. Il a bien essayé, le bougre, de récupérer des voix en réunissant d’urgence l’improbable conseil de défense écologique, et en lâchant des mesures à milliards. Mais les écologistes ont senti la ficelle (très grosse, il faut dire) et ont préféré le vote Jadot.
Une leçon est à en tirer. Sans changer de cap, sans revirement vers la gauche, la République En Marche confirmera son enkystement à droite et peinera à élargir son électorat.
Bien entendu, en l’état des forces, ce point n’empêcherait pas Emmanuel Macron d’être réélu, dès lors que la ficelle du « Rassemblement National ou moi » continue à fonctionner. Simplement, à l’usage, on s’aperçoit que cette façon de tuer le débat pour éviter de prendre en compte la majorité est aussi producteur de contestation violente.
Et le statu quo décrété par Macron à l’issue du scrutin européen réunit toutes les conditions pour qu’un nouveau mouvement d’exaspération n’éclate.
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog