Les élections européennes sont un terrible révélateur du rejet, en France, de la libre concurrence par l’ensemble des partis politiques. Qu’il s’agisse des listes de gauche ou de droite, La République En Marche et les Républicains compris, le marché unique tel qu’il est affirmé dans les traités fait désormais l’objet d’une méfiance unanime dans l’échiquier politique, à des degrés divers certes, mais de façon constante. L’étude comparative que nous livrons aujourd’hui, portant sur les 7 listes susceptibles, au vu des sondages actuels, d’envoyer des représentants à Bruxelles, est sur ce point sans appel : la libre concurrence dans l’Union n’est plus la bienvenue.
Peu d’électeurs approfondissent les programmes des partis aux élections européennes, et c’est un peu dommage car les propositions valent parfois leur pesant de cacahuètes, comme cette annonce d’une disparition du prince-évêque d’Andorre opposé à l’interruption volontaire de grossesse dans le programme de la France Insoumise. Mais ces aspérités originales ne sont pas l’essentiel. Nous avons analysé les programmes des principales listes qui présentent des candidats fin mai: Renaissance, Rassemblement National, Les Républicains, mais aussi la France Insoumise, Debout la France, EELV et Place Publique. Il ressort de cette étude que toutes les listes sont bien décidées à réviser en profondeur le droit de la concurrence en Europe pour faire place nette, au minimum, à des « arrangements » un peu plus malléables que la situation actuelle.
Le marché unique a perdu la bataille des idées.
Notre technique d’analyse pour les élections européennes
Pour parvenir à ce constat, nous avons procédé de façon assez simple en interrogeant chaque programme sur quatre points précis. La première question portait sur la préservation ou non du droit à la concurrence (et sur le libre-échange, par voie de conséquence). La deuxième question portait sur la politique monétaire proposée par chaque programme et sur la pratique de l’euro. La troisième question portait sur le fonctionnement des institutions et sur les possibles réformes proposées par les listes. La quatrième question portait sur les politiques migratoires.
Cette méthode unique permet de dresser une sorte de tableau comparatif particulièrement instructif sur la prétendue fracture entre les partis, et met en lumière les nombreuses convergences entre tous, au-delà des postures et des mots.
La libre concurrence, grande perdante du scrutin
La première évidence qui se détache de l’analyse tient au consensus français, toutes « obédiences » confondues sur la nécessaire réforme du droit de la concurrence. Dans les cas les plus « souples », c’est-à-dire celui de LR, de LREM et partiellement de Place Publique, le droit de la concurrence est accusé d’empêcher la constitution de « géants » européens. Cette accusation commode, qui évite de s’interroger sur l’échec des précédents géants européens qu’on nous promettait dans l’industrie (notamment à l’époque d’Alstom…), s’alourdit dans les autres partis. Le droit de la concurrence y est largement accusé d’être déloyal, anti-écologique, peu protecteur pour nos entreprises. Et surtout, il s’accompagne d’un libre-échange qui n’a pas meilleure presse.
Là encore, dans le meilleur des cas (LR et LREM), la Chine et les USA sont accusés de le pratiquer beaucoup moins et beaucoup moins bien que nous, ce qui nous nuirait. Se dégage donc un consensus pour réduire fortement les marges de ce libre-échange.
Si l’on admet l’hypothèse que l’utopie de la concurrence libre et parfaite, dans le même temps que le libre-échange, ont structuré l’Europe telle que nous la connaissons depuis soixante-dix ans, alors on mesure le recul de l’idée européenne en France, même parmi ses apôtres les plus virulents.
Polarisation entre partisans et adversaires de l’euro fort
Sur la question de l’euro, les positions sont plus nuancées, même si l’on peut reprocher à tous les partis de ne pas afficher clairement le lien consubstantiel entre une monnaie unique forte et des politiques budgétaires rigoureuses. Ainsi, LREM et LR (décidément très proches) proposent de transformer l’euro en monnaie de référence internationale, ce qui suppose de maintenir la lutte contre l’inflation, et de protéger la monnaie contre toute forme de dévaluation compétitive.
Face à ce duo, les autres partis demandent tous au minimum de modifier le mandat de la BCE pour y inclure la lutte contre le chômage. Mais certains vont jusqu’à proposer de faire officiellement tourner la planche à billets pour satisfaire les besoins des États… en particulier d’une France qui entend bien résister avec opiniâtreté aux réformes systémiques.
On notera qu’aucun des partis crédités de plus de 5% ne propose une sortie de la zone euro, ce qui constitue néanmoins un signal fort pour nos partenaires.
Le rôle du parlement européen au coeur des débats
S’agissant des institutions, le rôle du parlement de Strasbourg est dans toutes les têtes. Même LREM, qui peut apparaître aujourd’hui comme le parti le plus élitiste de France, propose d’élargir l’initiative législative dont le parlement dispose. Tous les partis proposent plus ou moins une formule de ce genre, avec quelques exceptions notables.
La première tient à l’ambition de supprimer la Commission européenne, portée par le Rassemblement National et par Debout la France. Ces deux listes proposent le remplacement de la Commission par un « secrétariat administratif » aux ordres du Conseil européen pour Dupont-Aignan, du parlement pour Marine Le Pen. On n’est pas bien sûr que la proposition soit réaliste, mais elle marque les esprits.
L’autre exception tient à l’appétit de réforme des traités qui se fait jour chez certains, notamment chez EELV et Yannick Jadot, qui parlent d’une Constituante européenne. On sent bien qu’il existe une tentation, chez beaucoup d’Européens de gauche, de modifier la nature du projet européen pour le rendre plus facile à porter. Reste à voir si cette envie est partagée par d’autres en Europe, ce qui est loin d’être sûr (surtout s’il s’agit pour eux de payer les déficits d’une France qui ne se discipline pas).
La question migratoire divise la gauche
Enfin, sur la question de l’immigration et des migrants, la balance penche globalement pour une politique restrictive. Même la France Insoumise propose de renforcer Frontex pour mieux colmater les frontières (même si cette idée est travestie sous forme de conte de fées). Seuls EELV et Place Publique revendique une ouverture sans nuance aux migrants, et sans moyens nouveaux pour surveiller les frontières. On retrouve là l’idéologie bobo qui sévit dans les beaux quartiers des métropoles et de la capitale, où la présence des immigrés est faible.
Sur cette question, le Rassemblement National semble s’être rapproché des Républicains, quand Debout la France adopte une position dure.
Un choix difficile pour les libéraux
Reste que, pour tous les défenseurs de la libre concurrence et pour tous les adversaires d’une étatisation de l’économie, les choix proposés aux élections posent problème. On peine à rêver de l’Europe qui nous est proposée, faite de règles nouvelles, de carcans en tous sens. Le Rassemblement National propose par exemple le remplacement du droit européen de la concurrence par la « responsabilité nationale des entreprises ». Les employeurs devraient privilégier la main-d’oeuvre nationale en cas de recrutement.
C’est à ces « détails » qu’on comprend qu’aucun programme n’a été rédigé par des chefs d’entreprise. Car le sujet de l’employeur est et sera toujours de recruter un bon salarié, peu importe sa couleur de peau.
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog