Comme tout nouveau Président, Emmanuel Macron promet le changement et un plan pour l’avenir. Mais un an et demi après son élection la réalité concrète et quotidienne des Français rattrape les projections du stratège. La ligne jaune est franchie. La question est de savoir où elle se trouve et quels sont les mécanismes psychologiques derrière de cette instabilité historique.
« Ils croient avoir fait une erreur de communication alors qu’ils ont fait une erreur de pensée », twittait Edgar Morin le 9 décembre 2018. Mais qui est « ils » ? Et quelle est cette « erreur de pensée » ?
Edgar Morin, diffuseur de la pensée complexe, laisse perplexe mais y répond dans un second tweet : « Le plus difficile n'est pas de changer de cap, n'est pas de changer de politique, c'est de changer de mentalité, autrement dit de structure de
pensée. C'est pourtant ce qui le sauverait et nous sauverait ».
Le message est désormais clair : il s’agit de la façon de penser du Président de la République. Edgar Morin n’est pourtant pas psychologue, et moi non plus.
Reste qu’Edgar Morin vise juste en pointant du doigt la structure de pensée du Président de la République car elle en dit long sur les origines du conflit qui ébranle la France depuis plusieurs semaines. En ce sens, une mise en perspective semble importante pour identifier les leviers d’apaisement sur la crise actuelle.
Structure de pensée du Président
D’abord, la structure de pensée n’est pas le contenu de la pensée. Je ne ferai donc aucun commentaire sur les décisions et les nouvelles mesures du Président. Ce qui est intéressant ici, c’est plutôt de décrire sa façon de pensée et notamment celle de choisir et d’interagir avec son environnement, sans jugement de valeur donc.
Emmanuel Macron a toujours affiché une attitude très rationnelle et objective depuis le début de son mandat. Il insiste sur la nécessité d’avoir une vision globale des problèmes auxquels fait face la France pour garder le cap. Sa pensée dominante est donc très souvent logique et cartésienne avec un regard tourné vers le futur et le changement. Il semble donc incarner le stratège où tout est censé être propre et clair.
Structure de pensée du mouvement des gilets jaunes
Le mouvement des gilets jaunes a, quant à lui, le regard tourné vers la réalité concrète du quotidien. Là où ça rit, ça pleure, ça tache, ça se dispute, là où ça compte les sous et où ça aime. L’échelle de temps n’est pas graduée en décennies mais en mois, quand ce n’est pas en jours. Sa pensée s’oriente donc davantage sur le lien humain, le lien social, la solidarité et toute cette humanité qui fourmille dans les foyers des Français.
Échec de réconciliation
Dans son discours post 4ème Acte du mouvement des gilets jaunes, le Président a enfin pesé ses mots en tentant de donner autant la place au quotidien difficile de bon nombre de Français qu’aux ambitions long terme et européenne de la France. Mais l’échec de réconciliation est toujours là. Les Français l’écoutent mais ne l’entendent pas, et le mouvement des gilets se poursuit.
Pour comprendre cet échec de réconciliation il faut se pencher sur les travaux du fondateur de la psychologie analytique Carl Gustav Jung à propos des types psychologiques.
Une opposition inscrite dans la psychologie humaine
Carl Gustav Jung publie en 1921 un ouvrage qui s’intitule “Types Psychologiques”. Il démontre dans cet ouvrage que la structure de pensée des êtres humains est balisée par quatre fonctions psychiques. Ces quatre fonctions déterminent notre façon d’observer le monde et de choisir. Et ce, à l’échelle individuelle autant qu’à l’échelle de nos sociétés.
Voir long terme ou court terme
Jung démontre que l’on peut voir le monde, soit sous l’angle de la nouveauté, du changement, de l’innovation, soit sous l’angle du concret, du pragmatisme, efficace et terre-à-terre. Ces deux vues opposées sont données par deux fonctions psychiques appelées Intuition et Sensation.
On y voit ici la volonté de réforme et de vision du Président en opposition aux résultats et aux actions concrètes qu’attendent les Français. D’un côté on trouve donc la vision long terme et de l’autre l’action court terme.
Choisir avec la raison ou le coeur
Jung démontre également que l’on peut choisir et décider de deux façons. La première est rationnelle et logique (fonction Pensée). L’autre est affective : on aime ou on aime pas, on le sent ou on ne le sent pas (fonction Sentiment). Cette opposition rappelle Blaise Pascal qui écrivait que “le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point”.
Cette façon de choisir détermine également la façon de communiquer de chacun. Ici, on retrouve donc la communication froide et rationnelle du Président en complet décalage avec celle des Français qui expriment leurs sentiments et demandent donc d’avoir avant tout un échange humain.
La ligne jaune est en nous
La beauté de la psyché humaine est que ces quatre fonctions psychiques sont à l’intérieur de chacun d’entre nous. La ligne jaune qui sépare long terme / court terme et coeur / raison est en nous tous. Certes, nous n’avons pas les mêmes préférences, Emmanuel Macron préfèrera avoir un mode rationnel plutôt qu’un mode affectif, mais nous avons toutes et tous la capacité à nous ouvrir à des modes de pensées complémentaires.
Respecter la ligne jaune
Cette ligne jaune peut-être vue comme une frontière entre deux étrangers comme en ce moment. Ou bien, elle peut être vue comme la marque d’une complémentarité gagnante. Notre attitude par rapport à cette frontière est donc déterminante car c’est le respect de cette différence de point de vue qui entraînera l’ouverture des deux côtés : Gouvernement et Français.
Résoudre l’erreur de pensée
Le Président de la République, de par sa nature psychique et son statut entraîne probablement son gouvernement à adopter la même posture que lui. Edouard Philippe, par exemple, que l’on peut voir si ouvert et accessible dans le documentaire de Laurent Cibien, affiche depuis son investiture une allure froide et austère du type politique que bon nombre de Français déplorent.
Le Président aurait donc sans doute intérêt à laisser son entourage politique exprimer davantage d’authenticité pour, à minima, compléter sa posture relativement froide de stratège.
Éduquer pour une transformation des consciences
Si un gouvernement veut que ses électeurs lui fasse confiance pour exécuter une stratégie long terme, il faut que ces mêmes électeurs se sentent, d’une part écoutés dans l’expression de leurs besoins court-termistes mais soient aussi, d’autre part, prêts à tolérer psychologiquement un effort long-termiste.
Or, de par la nature des êtres humains, statistiquement, la moitié des Français ne sont naturellement pas à l’aise avec le long terme. De façon complémentaire, l’autre moitié ne comprend pas bien l’urgence du quotidien. Quels efforts pouvons-nous donc faire dans notre système éducatif et social pour aider chacun à mieux comprendre les ressorts psychologiques qui nous animent tous ? Formation technique oui, transformation numérique oui, mais qu’en est-il de la transformation des consciences ?
Pour ne plus dépasser cette ligne jaune et ne plus oublier les autres, il est donc préférable mettre fin aux dialogues de sourds en privilégiant l’authenticité et la sincérité dans les échanges. A plus plus long terme, il est nécessaire d’encourager dès à présent les démarches d’introspection à tous les niveaux de notre société, à commencer par nos élites trop souvent déconnectées du réel, pour intégrer de façon réelle que la clé du succès se cache derrière le « faire ensemble ».