Il n'y a pas que les politiciens qui prétendent devenir nos amis. Ce travers n’est pas leur apanage puisque l’administration fera bientôt de même.
Non content de rémunérer ses indicateurs dans certains cas de fraude fiscale, l’Etat va bientôt « expérimenter » un nouveau dispositif radical pour lutter contre ce fléau.
Début novembre, le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin a fait l’annonce suivante : comme « souvent les Français se photographient eux-mêmes sur les réseaux sociaux », ses services vont « mettre les réseaux sociaux dans une grande base de données », afin d’être en mesure de « déceler des signes d’un niveau de vie en inadéquation avec les revenus déclarés ».
Ce nouveau dispositif prendra effet à compter du début de l’année prochaine, en accord avec la CNIL, comme il se doit.
Certains ont amplement souligné cette dérive d’un Etat de plus en plus panoptique, exposant chaque jour un peu plus notre démocratie déliquescente à un risque de techno-dictature à la chinoise.
Virginie Pradel a quant à elle souligné que ces excès ne datent pas d’hier et qu’il est grand temps de s’affoler :
Je voudrais commenter cette affirmation de Gérald Darmanin :
« On a tous connu des gens qui nous disent : "ce n’est pas normal, il y a des gens qui gagnent très peu leur vie et qui ont un train de vie très largement supérieur à leurs revenus". »
Je suis on ne peut plus d’accord avec le ministre !
Cependant, voici la question que je me pose : si l’objectif pour l’Etat est véritablement de rappeler un maximum de citoyens à la loi, prélevant au passage une fiscalité qui lui est due, alors pourquoi diable mettre l’ensemble de la population sous surveillance afin de débusquer quelques fraudeurs par-ci par-là, alors que Gérald Darmanin a à portée de ministère un quasi narco-État ?
Selon les chiffres de Frédéric Ploquin, auteur du documentaire « Les gangsters et la République », ce sont en effet environ 150 000 personnes qui vivent du trafic de drogues en Seine-Saint-Denis , un marché qui pèse localement autour de 3 Mds€ par an…
Que voilà un challenge à la hauteur de notre vaillant ministre !
A sa décharge, il est vrai qu’il est beaucoup plus facile d’extirper de l’argent d’une population qui n’emploie pour se défendre que des bonnets rouges et des gilets jaunes, plutôt que de rétablir l’état de droit dans les territoires perdus de République, là où les fraudeurs n’hésitent pas à recourir à des moyens disons… plus virils.
L’échiquier politique français grouille d’ailleurs d’hommes prêts à relever des défis gigantesques, et cela dans le seul et unique intérêt de la France, non pour leur gloire personnelle. Enfin à moins qu’on ne les ait mal compris…
Tellement humbles qu’ils préfèrent nous le dire
Vous vous souvenez que Nicolas Hulot a annoncé fin août qu’il renonçait à son ministère. Heureusement, face au risque inconsidéré que faisait courir à l’espèce humaine une éventuelle vacance du pouvoir à la Transition écologique et solidaire, un homme « humble » et « courageux » s’est dressé sur son perchoir :
Vanité, quand tu nous tiens… Mais cette sortie ne suffira pas à l’ancien président de l’Assemblée nationale pour remporter le prix de la grosse tête. En la matière, la compétition est rude.
Rattrapés par la folie des grandeurs
L’un des grands travers de nos dirigeants est sans aucun doute de s’imaginer que nous nous trouvons coincés dans le fil de l’Histoire, quelque part entre le XVIIe siècle et les Trente Glorieuses.
A entendre pérorer une grande majorité d’entre eux, il semble en effet acquis que le modèle français fait rêver les peuplades lointaines, du simple fait que la France est grande et a vocation à le rester éternellement, a fortiori sous leur direction éclairée.
On avait bien sûr l’habitude que nos politiciens tiennent ce discours déconnecté de la réalité au sujet du « modèle social » français — lequel, aux dernières nouvelles, ne s’exporte toujours nulle part. Mais force est de constater qu’avec la modification du Code civil pour imposer aux entreprises d’œuvrer dans « l'intérêt général économique, social et environnemental » (plutôt que dans le seul « intérêt commun des associés »), notre ministre de l’Economie et des Finances est à nouveau sorti de son orbite.
Bruno Le Maire promet qu’il va faire du capitalisme français « un modèle […] pour la planète »
Le 4 avril, voici en effet ce qu’il déclarait au journal Les Echos :
« Réécrire le Code civil est un acte politique majeur. A travers ce texte, nous voulons être à la pointe de la redéfinition du capitalisme européen. Ce n’est pas le capitalisme chinois, qui est un capitalisme d’Etat et qui ne correspond pas à nos valeurs économiques [interdit de rire], ce n’est pas le capitalisme anglo-saxon, qui est davantage court-termiste. Le capitalisme européen doit s’inscrire au contraire dans le long terme. Il doit faire des enjeux environnementaux un atout pour sa croissance, il doit défendre la propriété intellectuelle, valoriser la finance verte. Plus largement, il doit aussi être responsable socialement, promouvoir une véritable égalité hommes-femmes, se soucier du développement de ses collaborateurs. Cette réécriture du Code civil s’inscrit dans notre volonté de faire du capitalisme européen un des modèles de développement économique de la planète. »
Que voilà « un acte politique majeur », en effet ! Bruno Le Maire s’imagine donc une fois de plus (j’ai arrêté de compter) que l’Etat français, armé de son administration, va imposer dans un premier temps à l’Europe, puis à la planète, le « nouveau modèle français de capitalisme », lequel est censé être la panacée non seulement pour ses employés, mais également pour ses actionnaires et pour la Nation. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement puisque ce modèle a été pondu par une équipe d’anciens de l’ENA ?
Devant un tel aplomb, si je ne me méfiais pas, je serais presque convaincu que notre bon ministre va tous nous sauver.
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