Le Medef sert-il encore à quelque chose ? Bousculé par la vague des réformes gouvernementales, le syndicat patronal se cherche un nouveau souffle. Face à ce défi, les premiers candidats pour prendre la relève de Pierre Gattaz sortent du bois : Geoffroy Roux de Bézieux, Patrick Martin, Jean Charles Simon… Des personnalités et des projets différents, pour un choix qui pourrait influer sur l’évolution du modèle social français.
Avec la Loi Travail, le Medef vient peut-être de signer l’une des plus éclatantes « victoires à la Pyrrhus » de son histoire. Au printemps 2015, le syndicat patronal avait publié un cahier de doléances destiné à la presse et aux pouvoirs publics, réclamant une série de mesures en matière de contrats (motifs de ruptures, barème d’indemnités…). Deux ans plus tard, le gouvernement d’Emmanuel Macron accédait à la plupart de ces requêtes dans sa réforme du Code du travail.
Une victoire ? Oui, mais « in cauda venenum » : dans son train de réformes, le Gouvernement s’apprête aussi à amputer le Medef de ses principales prérogatives : le paritarisme de négociation et le paritarisme de gestion, c’est-à-dire la cogestion du modèle social par les organisations patronales et syndicales. En effet, avec les ordonnances de la Loi Travail, les accords au niveau de l’entreprise et au niveau des branches professionnelles devraient à terme supplanter la négociation à l’échelle nationale, dont le Medef a la charge. La production de normes et de Droit pour le monde du travail se fera désormais de plus en plus sans lui. Une menace existentielle à laquelle s’ajoute la réforme de l’Unedic, dans laquelle l’État reprendrait la main sur l’assurance chômage, au détriment des syndicats et du Medef. Et les réformes de la formation professionnelle et de l’apprentissage risquent également d’ébranler le rôle du syndicat patronal. Cette remise en cause du paritarisme fragilise le principal pilier qui légitime et structure le rôle du Medef.
Dépossédé de cette mission d’interlocuteur incontournable du modèle social français issu de la Libération, que restera-t-il du rôle du Medef dans les prochaines années ? Doit-il se muer en think tank pour défendre un capitalisme « à la française » ? Doit-il se concentrer sur de nouvelles tâches, comme la formation et l’accompagnement des entrepreneurs ? Doit-il organiser la participation des entreprises aux politiques publiques de lutte contre le chômage et de restauration de la compétitivité de l’économie française ? La prochaine élection à la présidence de l’organisation patronale, qui aura lieu en juillet, s’annonce comme un débat de fond sur le nouveau rôle du Medef, entre des projets différents. Une campagne qui sera probablement suivie de près par le Gouvernement.
Qui pour remplacer Pierre Gattaz ?
Le favori parmi les aspirants au poste est incontestablement Geoffroy Roux de Bézieux : Vice-Président du Medef, charismatique et médiatique, l’homme fait néanmoins grincer de nombreuses dents en interne : certains lui reprochent d’être devenu un financier plus qu’un véritable chef d’entreprise et surtout, de se lancer dans cette course essentiellement pour satisfaire son égo. Homme de réseau, mécène, GRDB a une image mondaine qui contraste avec les enjeux graves auxquels est confronté le Medef, et qui pourrait le desservir dans les prochaines semaines face aux autres candidats.
Face à lui, d’autres responsables de l’organisation patronale sont en lice, comme Frédéric Motte, responsable des territoires au sein du Medef et ex-Vice-Président centriste de la communauté urbaine de Lille. Autre apparatchik, qui ne s’est pas encore déclaré, Alexandre Saubot est un technocrate ayant fait l’essentiel de sa carrière dans de grands groupes ou des organisations représentatives. À la tête de l’UIMM, la branche la plus puissante du Medef, on le soupçonne en interne de présenter sa candidature pour mieux sécuriser son maintien à son poste actuel.
Face à GRDB, d’autres concurrents comptent bien bousculer les pronostics. Le challenger le plus sérieux est Patrick Martin, un entrepreneur lyonnais qui fait valoir sa réussite professionnelle à la tête d’une PME familiale (en faisant passer son chiffre d’affaires de 50 à 750 millions en 20 ans) pour défendre son projet. Proche des Medef territoriaux, il tente de renverser la vapeur en proposant un vaste « Aggiornamento » : pour rester un protagoniste incontournable de la vie économique française, l’organisation patronale doit totalement transformer sa structure et ses missions. « Tout changer pour que rien ne change », comme disait Alain Delon dans « le Guépard ». Face à Geoffroy Roux de Bézieux qui représente la continuité, celui qui a été élu président du Medef Rhône Alpes en 2016 joue la carte du changement. Une métamorphose pensée de manière collégiale, en rassemblant tous les acteurs du syndicat pour définir, sur un programme commun, une nouvelle feuille de route.
Mais Patrick Martin n’est pas le seul à appeler à prendre la mesure de la crise existentielle de l’organisation. Un autre candidat, Jean-Charles Simon, invite aussi l’institution de l’avenue Bosquet à saisir à bras le corps ses difficultés du moment pour les surmonter. Particulièrement libéral, l’économiste est à la tête de Stacian, une société d’analyse et de statistiques. Il se réjouit de la fin du paritarisme et du modèle social hérité de 1945. Résolument optimiste et éclectique, il suggère de faire du Medef le navire amiral d’un libéralisme « à la française » ambitieux et offensif, en proposant un rapport de force frontal avec l’État. Une démarche intellectuelle qui va enrichir le débat dans les prochaines semaines, mais qui risque beaucoup de refroidir les fédérations, peu encline à « renverser la table ».
Entre continuité, réforme collégiale et révolution libérale, les membres du Medef vont être probablement confrontés à l’une des élections les plus intéressantes — et l’une des plus décisives — de l’histoire de leur syndicat.