La lecture des deux lois du 15 septembre 2017 « pour la confiance dans la vie politique » est à la fois instructive et désespérante.
Elle montre en effet à quel point une fraction de nos dirigeants compte sur le droit positif pour remplacer le sens moral et pour imposer des attitudes « politiquement correctes », c’est-à-dire conformes à la doctrine que s’efforcent de répandre un certain nombre de prédicateurs disposant d’un accès privilégié aux médias. Elle montre aussi le manque de réalisme et de logique qui s’empare du législateur lorsqu’il se soumet, avec une certaine servilité, aux normes véhiculées par le prêt-à-penser. Accessoirement, ces deux textes fournissent un exemple supplémentaire du caractère illisible de notre littérature normative.
Le droit contre la morale
Il va de soi que les membres des cabinets ministériels et les attachés – désormais dénommés « collaborateurs » – parlementaires doivent être choisis en fonction de leur aptitude à réaliser un travail utile à notre patrie : la République a besoin de serviteurs efficaces et consciencieux. Mais on voit mal en quoi les articles 11, 14 et 16 de la loi n° 2017-1339, qui rendent illégal le recrutement comme collaborateur parlementaire ou membre du cabinet d’un conjoint ou partenaire de pacs ou concubin, et aussi des parents ou enfants de ces personnes, peuvent contribuer à renforcer l’efficacité des institutions concernées (ministères et Parlement). Le conjoint d’un parlementaire, par exemple, peut être le mieux placé pour travailler en binôme avec lui, l’ayant déjà longuement épaulé par le passé. Et, en sens inverse, l’embauche d’un amant ou d’une maîtresse avec qui le parlementaire ou le ministre ne vit pas en concubinage, ou de toute autre personne, sera peut-être de pure complaisance, débouchant alors sur un gaspillage de l’argent du contribuable et sur une mauvaise qualité du travail.
Ajoutons que ces articles sont directement opposés, en esprit sinon en droit positif, à la condamnation légale et réglementaire de la diffamation. Car si la loi interdit de choisir par exemple un conjoint comme assistant parlementaire, c’est en raison d’un soupçon qui pèse a priori sur son comportement : le fait d’être conjoint de l’employeur est considéré comme signe d’une propension à ne pas travailler correctement, à ne pas rendre les services que la République est en droit d’attendre d’une personne à laquelle sont versés des deniers publics. Nous sommes là non seulement dans la diffamation mais aussi dans l’injure publique, puisque rien n’est plus « public » qu’une loi de la République.
Le manque de réalisme
Le législateur s’égare également quand il s’aventure, dans les deux lois sous revue, à durcir les règles relatives aux conflits d’intérêt. L’article 6 de la loi 2017-1339 prévoit en effet la « tenue d’un registre accessible au public, recensant les cas dans lesquels un membre du gouvernement estime ne pas devoir exercer ses attributions en raison d’une situation de conflit d’intérêts, y compris en Conseil des ministres. » Mais, à supposer que les ministres, tous scrupuleux, décident de ne pas exercer leurs attributions lorsqu’il existe un conflit d’intérêt, comment s’en trouvera-t-il fut-ce un seul pour se prononcer sur le texte d’un projet de loi de finances (PLF) ou de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ? Tout ministre est contribuable et assuré social ; il est donc inévitablement en conflit d’intérêt avec les dispositions fiscales destinées à être soumises au Parlement qui auront pour effet d’augmenter les impôts dont lui, son foyer fiscal, des membres de sa famille, ou des amis proches, seront redevables. Il sera de même en situation de conflit d’intérêt dès que certains articles d’un PLFSS diminueront les avantages sociaux dont il bénéficie, ou dont certains de ses proches bénéficient.
L’article 6 de la même loi soulève le même genre de question pour les parlementaires. Il dispose en effet que « chaque assemblée (…) détermine les règles destinées à prévenir et à faire cesser les conflits d’intérêts entre un intérêt public et des intérêts privés dans lesquels peuvent se trouver des parlementaires. » Or quantité de dispositions, que ce soit dans les PLFSS et les PLF déjà cités, ou dans d’autres projets de loi, impactent les intérêts privés des parlementaires. En particulier, leur réélection – à laquelle ils sont généralement assez intéressés – dépend en partie des avantages qu’ils peuvent obtenir en faveur de leurs électeurs. L’élu d’une circonscription très agricole est donc souvent enclin à défendre des positions autres que celles qui ont la préférence d’un député ou sénateur d’une métropole. Celui qui a dans sa circonscription une centrale nucléaire n’a pas les mêmes intérêts, par électorat interposé, que son collègue d’un territoire plutôt centré sur les services informatiques.
Bref, les conflits d’intérêt font partie de la condition humaine et prétendre qu’il faut s’abstenir de voter quand on est partie prenante relève de l’irénisme. Là encore, la solution est à rechercher davantage du côté de la morale que de la réglementation.
Conclusion
La sagesse populaire le dit fort bien : « Qui veut faire l’ange fait la bête. » L’angélisme législatif ne serait pas grave s’il n’était que ridicule : chacun sait que le ridicule ne tue pas. Mais l’angélisme de façade qui a inspiré les deux lois du 15 septembre « pour la confiance dans la vie politique » recèle un véritable danger : celui de nous enfoncer toujours plus dans le juridisme, dans l’idée folle selon laquelle des lois, décrets et arrêtés permettraient de remédier complètement à l’imperfection des hommes. Bien entendu, certains textes créent des barrières utiles, voire nécessaires, mais l’avenir du pays dépend surtout de ce qui, au cœur de chaque être humain, le porte à faire le bien plutôt que le mal. L’homme est intrinsèquement un être moral ; vouloir le transformer en homo juridicus est une perte d’énergie. S’il vous plait, Mesdames et Messieurs nos dirigeants, passez aux choses sérieuses !