Le couac du jour sur les néonicotinoïdes a au moins un mérite: il révèle l’engagement pro-européen très variable de la nouvelle majorité. Très europhile dans les caméras de télévision, Emmnuel Macron se révèle bien plus souverainiste dans la pratique quotidienne du pouvoir.
C’est vrai qu’on s’est bien amusé avec ce premier couac du gouvernement. D’un côté, un arbitrage rendu le 21 juin sur l’interdiction absolue des néonicotinoïdes. De l’autre, l’intervention du tout nouveau ministre de l’agriculture qui est revenu sur cet arbitrage, la fleur au bout du fusil. Il aurait mieux fait de potasser ses dossiers sensibles avant d’aller à la télé celui-là!
Sur le fond, l’affaire révèle l’attachement très « instable » d’En Marche à l’Europe.
Néonicotinoïdes et surtransposition
Comme d’habitude, l’administration française a abondamment pratiqué la surtransposition des normes européennes dans ce dossier. Ainsi, la réglementation européenne n’interdit pas les néonicotinoïdes. C’est la France qui fait le choix d’aller au-delà des règles communautaires en adaptant, dans la loi sur la biodiversité, des mesures bien plus drastiques que celles qui existent sur le reste du continent.
Dans le cas de la protection des abeilles, on peut comprendre cette volonté d’aller au-delà du droit valable sur le continent. Mais il faudrait être naïf pour croire que la surtransposition se limite aux seuls cas de la protection de nos amis les insectes. La surtransposition est une maladie de la bureaucratie française qui aime ajouter de la complexité nationale à la complexité communautaire.
Mais de quelle Europe parlons-nous?
Il faut donc prendre le temps de bien comprendre la véritable portée de la surtransposition des normes européennes en droit français. Elle consiste à greffer sur le droit valable dans l’Union des « verrues » nationales, des particularités, des originalités, dans un sens constant: celui de la surinterdiction et de la restriction maniaque.
Cette manie dit deux choses de nos élites technocratiques (qui adorent, pour transposer le droit de l’Union, recourir aux ordonnances).
Première chose, elle nous rappelle que la valeur fondamentale de l’élite française, survivance d’une noblesse de robe coriace au-delà des épisodes républicains, c’est la privation. Quelle jouissance que de limiter l’instinct vital par une superposition de règles castratrices, de codes obscurs, qui embrassent la vie comme le poulpe étouffe sa proie.
Deuxième chose: au-delà des postures européennes, les élites françaises restent profondément souverainistes et attachées au fait national. Comme quoi, il n’est pas si facile de diluer son identité millénaire dans un machin transnational, même si on le pense comme l’alpha et l’oméga de la modernité.
En France, le souverainisme est aussi têtu que les faits
Que n’avons-nous entendu, il y a quelques semaines, sur la félonie de tous les eurosceptiques? Rappelons-nous que Macron a largement été élu en jouant sur le clivage entre les obscurantistes eurosceptiques, symboles de toutes les horreurs modernes, et les europhiles (dont lui) qui avaient parfaitement compris que l’avenir de l’homo europeensis était dans le machin bruxellois.
Puis, une fois la bise venue, on s’aperçoit de la frilosité des donneurs de leçons. Finalement, l’Europe, c’est pas si bien que ça. Et la souveraineté française, ça n’a pas de prix.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog