« Il n’y a pas de différend entre le ministre des Finances et moi, pour une raison simple, c’est que – notamment s’agissant de la Défense – je décide et il exécute », Jacques Chirac, 14 juillet 2004.
Les cinq principaux enseignements du premier tour de l’élection :
- Contrairement aux précédents du Brexit et de l’élection présidentielle américaine, les sondages en France se sont révélés très fiables. La méthodologie utilisée (quotas et recours important aux redressements) a permis de réduire très sensiblement l’erreur d’échantillonnage ;
- Le FN est en repli par rapport au résultat du premier tour des élections régionales de 2015 (21,3 % versus 28 %) ;
- Dans un système dominé depuis des décennies par le bipartisme (PS et LR), Emmanuel Macron a réussi à réitérer l’exploit du Général De Gaulle en faisant émerger une troisième force politique dans le pays ;
- Le vote en faveur du fondateur d’En Marche introduit une rupture géographique par rapport aux précédentes élections du même ordre puisqu’il a pris l’ascendant dans des régions où il y a une forte implantation de la démocratie chrétienne mais aussi des bastions historiques du PS comme le Puy-de-Dôme et les grandes métropoles où sont surreprésentés les cadres et les diplômés ;
- Le principal risque pour les investisseurs en 2007 est qu’ils prêtent trop attention au risque politique. Comme l’ont prouvé les scrutins autrichien, néerlandais et français, il a été souvent surestimé par le marché ces derniers mois.
Le vainqueur du second tour est déjà connu :
- Emmanuel Macron sera le prochain président de la République. A ce jour, les sondages estiment qu’il devrait obtenir 60 % des suffrages vs 40 % pour Marine Le Pen. Il est probable que l’écart entre les deux candidats se réduise à l’approche du scrutin. Il s’agit d’un point crucial qui n’a pas été encore intégré dans les prix du marché et qui pourrait créer de nouvelles tensions sur les actifs financiers français et accroitre le spread de la France. Cependant, le Front Républicain, bien qu’un temps remis en question, devrait permettre un report de voix suffisants en faveur du candidat d’En Marche. En revanche, on aurait tort de comparer le score qu’obtiendra Emmanuel Macron à celui de Jacques Chirac en 2002 car, entre-temps, la crise financière de 2007 et la stratégie de dédiabolisation mise en œuvre depuis 2011 ont permis au FN d’élargir considérablement son assise électorale ;
- Marine Le Pen ne sera pas en mesure de briser le plafond de verre. Ayant obtenu 7,7 millions de voix au premier tour et en tablant sur un taux de participation à 81,5 % au second tour (taux de participation moyen depuis 1958), le Front National aurait besoin de 10 millions de voix supplémentaires pour gagner, ce qui parait complètement exclu au regard des intentions de vote. Par conséquent, en se basant sur les sondages, il devrait manquer entre 2 à 3 millions de voix à la candidate frontiste pour dépasser le seuil des 50 % ;
- La seule incertitude majeure a trait au taux d’abstention qui pourrait être supérieur au taux moyen de 20 %. Toutefois, il faudrait une baisse sans précédent dans l’histoire du taux de participation à 50 % pour que Marine Le Pen puisse prétendre jouer d’égal à égal avec Emmanuel Macron. Dans ce cas de figure, il lui faudrait uniquement 12 millions de voix pour gagner. Une telle baisse est peu vraisemblable sachant que le taux de participation le plus bas depuis 1958 fut de 68,85 % atteint en 1969.
Le vrai enjeu concerne les élections législatives des 11 et 18 juin :
La question fondamentale pour la France est de savoir si Emmanuel Macron disposera de la majorité parlementaire nécessaire pour mettre en œuvre son programme réformiste dans la foulée des élections des 11 et 18 juin.
Il y a quatre scénarios possibles :
- Obtention d’une majorité absolue (soit 289 sièges) : En accord avec l’esprit de la Constitution de la Vème République et la réforme constitutionnelle de septembre 2000, les Français donnent une majorité au président composée de députés En Marche, de députés « macron-compatibles » du PS, de membres de l’UDI et de juppéistes ce qui permettrait de mettre en oeuvre l’ensemble des réformes promises. Cette hypothèse, qui suppose un fort engouement pour Emmanuel Macron, qui n’était pas perceptible au regard du score obtenu au premier tour, un éclatement du PS et une recomposition de LR parait assez peu probable ;
- Obtention d’une majorité relative : Il s’agit de notre scénario de base. Faute de majorité absolue à l’Assemblée Nationale, Emmanuel Macron et son gouvernement devront s’assurer, texte après texte, du soutien de celle-ci. Cette hypothèse est crédible. Déjà, les lignes politiques sont en train de bouger puisque des figures de premier plan appartenant à LR (Christian Estrosi et Bruno Le Maire) ont fait part de leur volonté de travailler avec Emmanuel Macron. Dans ce contexte, il faudra nommer un Premier ministre qui soit habile négociateur ; par exemple Richard Ferrand, député PS et secrétaire général d’En Marche. Ce serait une situation inhabituelle mais pas inédite dans l’histoire de la Vème République puisque le Premier ministre socialiste Michel Rocard fut confronté au même scénario de 1988 à 1991. A l’époque, il s’était assuré du soutien des centristes et de la neutralité des communistes. Il a également eu abondamment recours au 49-3 qui est un dispositif prévu par la Constitution permettant au gouvernement d’engager sa responsabilité sur un texte de loi qui est automatiquement adopté à moins qu’une motion de censure ne soit déposée par au moins 58 députés et ne soit adoptée par au moins 289 députés (majorité absolue). Si c’est le cas, le gouvernement est contraint de démissionner, ce qui n’est plus arrivé depuis 1963. Ainsi, malgré l’absence de majorité absolue, la période 1988-1991 fut marquée par des réformes majeures, comme la CSG, la réintroduction de l’ISF ou encore la création du RMI qui fut adoptée en 1988 avec les voix du RPR et de l’UDF. La Constitution française est suffisamment bien faite pour parer à toutes les circonstances et permettre, même à un gouvernement doté d’une majorité relative, de réformer. Il est, par conséquent, prudent de dire qu’Emmanuel Macron sera un président en mesure de mettre en oeuvre son programme de réformes pour la France. Le scénario noir d’une France impossible à gouverner est exclu.
- Cohabitation avec LR/UDI : C’est certainement le second scénario le plus crédible. Il s’agirait de la quatrième cohabitation depuis 1958. Au lieu de devenir un monarque républicain, Emmanuel Macron serait réduit au rôle de président aux pouvoirs assez limités et ne serait certainement pas en mesure de mettre en oeuvre son ambition programme économique. Il aurait une compétence particulière dans son domaine réservé (la défense et la politique étrangère) mais un rôle plus mineur en ce qui concerne la politique intérieure ;
- Balkanisation de l’Assemblée Nationale : C’est le scénario noir évoqué au soir du premier tour mais qui a zéro chance de survenir. Au regard des scores obtenus par les quatre principaux candidats à la présidentielle (autour de 20 %), il suppose l’émergence de quatre groupes parlementaires de taille égale ce qui conduirait à une forte instabilité politique qui rappellerait la IVème République. Il s’agit d’une erreur d’analyse manifeste. En effet, le poids au niveau national de Jean-Luc Mélenchon ne se reflète pas dans les scores du Front de Gauche et du PC au niveau local qui ont besoin de l’appui du PS afin d’obtenir des députés. En outre, l’absence de proportionnelle aux législatives empêche le FN d’obtenir un nombre de députés significatifs (actuellement seulement deux députés).