L’exercice de certains métiers nécessite sinon « LA » vocation du moins un penchant, une aptitude spéciale. Qu’en est-il de celui d'enseignant ?
S’il est communément admis pour ce qui concerne, par exemple les cultes, les arts, la chirurgie, les secours d’urgence… qu’une dose suffisante d’envie personnelle est indispensable pour pouvoir tenir le poste, en ce qui concerne le métier d'enseignant cette condition n’est pas évidente pour tous.
Ainsi, bien souvent, les enseignants, les formateurs, les animateurs sont loin d’avoir les mêmes convictions et possèdent des styles d’intervention différents. Chacun se fait, plus ou moins, une certaine idée de son rôle et tous, à des degrés divers, sont réputés individualistes et tant soit peu narcissiques. Lorsqu’on leur pose la question du choix de ce métier, les uns répondent, J'enseigne parce qu’on me l’a demandé. En fait ce n’est pas mon métier ; on a fait appel à moi pour que je partage mon expérience avec des personnes qui pourront en tirer profit. Je suis un occasionnel ! Les autres, C’est mon métier. J’ai eu la vocation et même si elle est moins présente qu’à une époque j’y trouve encore mon compte grâce à de nombreux contacts, quelques déplacements et l’éloignement de ma hiérarchie. Les troisièmes : Je suis enseignant parce que j’ai la vocation. Mon registre c’est de transmettre, d’aider. Je pense sincèrement que l'enseignement constitue la clé de bien des problèmes, si ce n’est de tous. Rarissimes sont ceux qui rétorquent, C’est alimentaire ! Je fais çà pour vivre ! Je n’ai pas eu le choix ! Comme on l'entends pourtant couramment à propos de nombreux autres emplois.
Pourquoi cette nuance ?
L’enseignement remonte au moins à Socrate, c’est-à-dire cinq siècles avant J.C. Il a pour but de faciliter l’apprentissage, c’est d’ailleurs sa définition et, bien évidemment, il met en œuvre tous les moyens utiles, en particulier les plus modernes du moment. Seulement voilà, si depuis 2500 ans au moins, et malgré l’évolution des moyens et des techniques, y compris les plus sophistiqués, des hommes continuent à enseigner à d’autres hommes c’est essentiellement pour deux raisons :
– La première raison semble tenir aux aspirations théâtrales, conscientes ou non, de celui ou celle qui « monte sur l’estrade », un peu comme on monte sur une scène. Qu’il s’en défende ou qu’il le revendique, il ou elle espère ainsi se mettre en valeur ou tente de soigner sa timidité ou tout autre trouble personnel. Ou, tout simplement, il ou elle « se fait plaisir » en satisfaisant une envie personnelle. Cette première raison est avancée ici à titre seulement indicatif. D’ailleurs sa fréquence et son importance varient très sensiblement suivant le lieu, le moment, les personnes en présence. Et, de toutes les façons, sauf cas pathologique heureusement rare, elle n’impacte que peu la tenue de l’emploi.
– La seconde raison est plus conséquente. Faire l’effort d’apprendre n’a jamais été totalement évident ni simple et donc, l'apprenant, le stagiaire, l'étudiant l'élève, plus que quiconque, a besoin de soutien, d’encouragements, de conseils, de considération, de valorisation. Ceci est encore plus vrai dans un monde où (presque) plus personne ne travaille seul. Or, accepter de soutenir, d'encourager, de conseiller, de considérer, de valoriser à longueur d’année des dizaines et des dizaines de personnes ; accepter de se mettre à leur place lorsque l’on conçoit, d'imaginer les questions qu’elles sont susceptibles de se poser, de chercher des réponses et de les retranscrire avec tout le soin nécessaire à une communication réussie ; accepter la responsabilité de la conception d'une formation, c'est-à-dire s'efforcer de (presque) tout prévoir alors que l'on sait qu'une fois, par exemple mise en ligne, et malgré de nombreux essais ainsi que toute l'attention du monde, les débuts seront forcément hésitants, critiquables et critiqués ; accepter, enfin, de s’effacer aussi souvent qu’il le faut, mais tout en restant présent attentif et même vigilant, est une position intenable si l’on ne l’a pas choisie, ne serait-ce qu’un peu.
D’autant que, si comme nous venons de le dire la communication est un des éléments et non des moindres de la pédagogie elle n’est pas à elle seule toute "LA" pédagogie. Cette dernière est faite aussi de respect des conditions qui favorisent l’émergence de la motivation des apprenants ; de mise en œuvre de celles qui diminuent la probabilité d’apparition des phénomènes de groupes les plus parasites ; de respect de l'apprenant et de ses opinions ; d’écoute active ; d’incitation aux échanges. La pédagogie est faite, encore, d’interactions plus ou moins spontanées ; d’adaptation dans une certaine mesure aux attentes des personnes en formation ; d’humour naturel et non plaqué ; de sourires sincères ; de valorisation de celui ou celle qui apprends par celui ou celle qui enseigne. La pédagogie est faite, pour bonne partie, de chair, de sentiments et d’émotions.
On le voit bien ici, il ne suffit pas d’équiper massivement les apprenants et les enseignants d’outils numériques pour améliorer leurs performances. On peut mettre plein d’ordinateurs à disposition de tous, fournir des tablettes et même s'en servir, si les pratiques pédagogiques ne suivent pas, les résultat ne s’amélioreront pas. Ce n’est pas tant l’intégration du numérique qui améliore les performances des apprenants que l’évolution des façons de faire pédagogiques. Les pays qui réussissent le mieux tels l'Australie, la Corée du Sud, Singapour, le Danemark ou encore la Norvège ont depuis longtemps développé –en même temps que l’adoption du numérique–, le travail en petits groupes, l’apprentissage par projet, l’enseignement personnalisé et adapté aux compétences de chacun. Plaquer le numérique sur une pédagogie d'un autre siècle ne portera pas ses fruits. Si la technologie peut sans aucun doute permettre d’optimiser un enseignement de bonne qualité elle ne peut en aucun cas pallier un enseignement de piètre qualité : les outils numériques à eux seuls ne suffisent pas à améliorer les performances (!).
Extrait de Concevoir et gérer une formation : repères pédagogiques et méthodologiques Alain Astouric, Chronique Sociale 2016