Ceux qui ont été à l’école avant la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem se rappellent peut-être de la fable de La Fontaine où les grenouilles, lassées de l’état démocratique, demandent un Roi. On leur propose un pacifique soliveau, ils le chassent : "Donnez-nous, disent-ils, un roi qui se remue". On leur envoie une grue féroce, "qui les gobe à son plaisir", et ils se plaignent. Morale de l’histoire, il aurait fallu garder votre gouvernement.
C’est à peu près la situation de la France d’aujourd’hui. La combinaison de l’élection présidentielle au suffrage universel et du quinquennat a conduit à une hyper-personnalisation du pouvoir. Deux ans avant le terme, on discute déjà des humeurs des uns et des autres, on compare les grues et les soliveaux, on maudit l’inaction tout en redoutant les réformes. Une dizaine de noms reviennent en boucle, dont on nous répète jusqu’à la nausée les moindres détails biographiques, les phrases les plus insignifiantes. On oublie de gouverner pour mieux se positionner ; on renonce à penser pour mieux polémiquer. Les sondages, les primaires, les déclarations d’intention occupent l’essentiel des médias. « 2017 » nous plonge dans l’obsession des candidats, comme avant lui « 2012 », « 2007 », « 2002 », etc. Croit-on vraiment qu’on changera les choses en changeant les hommes ? N’est-il pas infantilisant, humiliant même, d’être à ce point dépendant d’un de nos semblables, citoyen et mortel comme nous tous ?
Ce plébiscite quinquennal est la triste marque d’un régime semi-autoritaire. On vote pour le pouvoir exécutif, qui nous prie ensuite de lui donner le législatif comme on remettait le sceptre au nouveau roi. Si vous voulez exprimer votre opinion, il vous reste la rue ou twitter. La Constitution de la Ve République, telle que conçue par Michel Debré, accordait pourtant un rôle bien plus important au Parlement, le Président étant élu par un collège de 80 000 grands électeurs. C’est le coup d’état de Charles de Gaulle en 1962, dans un référendum déclaré à l’époque illégal par le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel, qui rompit ce fragile équilibre et concentra tous les pouvoirs à l’Elysée. Depuis, un pauvre bonhomme, issu des luttes partisanes les plus ternes, se retrouve du jour au lendemain encombré des deux corps du Roi, père de la nation et chef de l’exécutif, au centre d’une cascades de courtisaneries qui fait les délices des dîners parisiens, et le malheur de la France. Sommé d’incarner autant que de solutionner, guérisseur d’écrouelles et artificier du chômage, il attire toutes les curiorisités et toutes les passions. On exige qu’il décide de tout, vite et mal. Son destin, c’est de décevoir.
Le très sérieux think-tank international Peterson Institute concluait récemment que le mal essentiel de la France, la clef de voûte de tous nos blocages, résidait dans ce présidentialisme barbare. La journaliste politique Ghislaine Ottenheimer fit quelques mois plus tard le même constat dans un livre au titre explicite, Le poison présidentiel.
Et si l’on purgeait ce poison ? Si l’on essayait la démocratie, comme les grenouilles de la fable ? Si l’on envoyait un Président élu au suffrage indirect couper les rubans, sur le modèle allemand ou italien, tandis que le gouvernement redeviendrait l’émanation du Parlement ? Le débat d’idées gagnerait à se détacher des personnes. Les élus gagneraient à reprendre l’initiative des lois. Les politiques publiques gagneraient à l’émergence de coalitions responsables. La démocratie gagnerait au pluralisme.