Avec la mort de Charles Pasqua, c’est toute une époque qui disparaît. Celle des hommes politiques truculents, des grands flics et des grands voyous. Ces fameuses années 70 dont on ne peut pas ne pas avoir la nostalgie quand on les a connues. « Charly », comme le surnommaient entre eux ses collaborateurs -jamais en s’adressant à lui- était un peu tout cela à la fois : tribun, flic et voyou.
J’ai bien connu le responsable politique et je ne l’ai jamais regretté. Je me suis tordu de rire tellement de fois quand, serrant la main d’une personne qui se présentait à lui, il lâchait, énigmatique : « Oh, mais je vous connais bien, Monsieur ! J’ai vu votre dossier… » Le type repartait tremblant, sans trop savoir ce qui allait lui tomber dessus. La plupart du temps, le ministre de l’Intérieur n’avait pas sorti la moindre fiche RG mais s’amusait avec sa légende.
Lors de son premier passage Place Beauvau, il avait nommé une personnalité, membre de la communauté juive, chargée de lui faire remonter les informations pouvant inquiéter les juifs français. En sa qualité de ministre des Cultes, il se montrait très vigilant sur les questions de racisme et d’antisémitisme. Dans un premier temps, ce chargé de mission, Patrick Gaubert, qui devint par la suite Président de la Licra et député européen, avait été mal accueilli par certains notables de la communauté israélite qui suspectaient Pasqua d’avoir installé un « commissaire aux affaires juives » ! Très vite cependant, constatant l’efficacité de cet homme qui avait su gagner la confiance du premier flic de France et pouvait agir vite et fort quand il le fallait, les notables s’étaient calmés.
Un jour que nous attendions ensemble un avion dans le pavillon d’honneur de l’aéroport du Bourget, Pasqua, Gaubert et moi, le ministre irrité par le niveau sonore de la musique de fond dit à son fidèle collaborateur : « Gaubert, vous qui êtes fier de vous, sûr et dominateur, baissez la radio s’il vous plaît »… Gaulliste dans les veines mais aussi dans les vannes ! Je me souviens aussi de ce jour où il mit en boîte Roger Karoutchi, à l’époque l’un des bras droit de Philippe Séguin. « Charly » avait noté dans ses tablettes que le jour de Yom Kippour, Karoutchi se faisait systématiquement porter pâle afin de célébrer la fête en famille. Une veille de Grand Pardon, tapant virilement sur l’épaule de Karoutchi en présence de quelques amis, Pasqua lui demanda avec un petit sourire au coin des lèvres : « Alors Roger, demain, t’es malade ? »
Je pourrais ainsi égrener les anecdotes à l’envi à propos d’un personnage qui avait compris depuis longtemps que l’humour est une arme irremplaçable en politique. Quand il est pratiqué avec talent bien entendu car on connaît quelques comiques de stand-up plus laborieux que drôles et dans ces cas-là, l’humour en politique devient une arme d’autodestruction massive.