Voici plus de 15 ans, nous préconisions de réhabiliter le capital comme un des facteurs de production, mais sans obtenir de résultat.
En 1959, le Général De Gaulle avait initié « la participation des salariés aux fruits de l’expansion » ; une importante réforme destinée, à ses yeux, à réconcilier le travail et le capital. D’abord facultatif, puis obligatoire pour les entreprises de plus de 100 salariés en 1967, ce seuil ayant été ramené à 50 salariés en 1990. Parallèlement, l’intéressement des salariés s’est également développé, essentiellement grâce aux avantages sociaux et fiscaux qui l’accompagnaient.
Depuis, aucune initiative significative n’a été prise pour une redéfinition de la rémunération des différents facteurs de production. Poussée par l’opposition, une tentative de modification des règles de partage du résultat fut entreprise sous la mandature de Nicolas Sarkozy en vue d’imposer une répartition du bénéfice par tiers : 1/3 pour les actionnaires, 1/3 pour les salariés et 1/3 pour l’investissement. Posée en ces termes, cette approche idéologique ne pouvait prospérer faute d’une analyse économique réaliste.
Nous aurions pu espérer que la loi sur la participation de 1959 ferait évoluer les esprits et permettrait une meilleure connaissance des réalités économiques de l’entreprise mais en vain. Rappelons-nous les diatribes contre le capital : « Aujourd’hui on peut s’enrichir en dormant, il suffit d’être propriétaire… et de regarder le temps passer » déclarait François Mitterrand, « La bourse ? J’en ai rien à cirer » lancé par Edith Cresson ou dernièrement, lors de la campagne aux élections présidentielles de 2012 « Mon véritable adversaire, c’est la finance » annoncé par François Hollande. Ce n’est pas avec de tels discours que l’on peut réconcilier le travail et le capital.
Il n’est pas ici utile de rechercher les causes du manque d’éducation d’un très grand nombre de Français en matière d’économie d’entreprise, mais préférable de contribuer à en faire connaître les réalités. Pour fonctionner, une entreprise, quels que soient son activité et sa taille, a besoin de tous les facteurs de production : le travail, le capital et, pour certaines activité, des matières premières ou de l’intelligence (au sens de compétence). Nous ajouterons aux facteurs de production traditionnels, l’initiative (ou esprit d’entreprendre), facteur déclencheur sans lequel les autres facteurs de production mis en commun ne font pas « une entreprise ».
Si la notion de travail est relativement bien appréhendée par l’ensemble de la population, le capital est encore souvent considéré comme un moyen « d’exploitation » du travail, sentiment souvent justifié au 19e siècle et au début du 20e siècle, mais qui aurait dû s’estomper au fur et à mesure de l’adoption des lois de protection des travailleurs depuis la fin de la première guerre mondiale puis, de façon accélérée, à l’issue de la seconde guerre.
Le capital investi dans une entreprise est le premier moyen de son financement nécessaire pour acquérir les biens et services nécessaires à son activité et à son développement (investissements matériels et immatériels et besoin en fonds de roulement). Quant à l’initiative, elle résulte, soit de la prise de risques des entrepreneurs, (qui cumulent capital et initiative), soit du recrutement de dirigeants chargés de développer l’activité à partir d’un capital mis à leur disposition. On observe qu’un « mix » (entrepreneur-dirigeant + capital) est de plus en plus réalisé par les « nouveaux entrepreneurs » et leurs strat-up. Les dirigeants ou managers se distinguent donc des salariés, mais cette distinction devient de moins en moins nette, particulièrement avec les cadres, chargés de mettre en œuvre la stratégie définie par la direction. En réalité, tous les acteurs participent à la vie de l’entreprise et à son développement ; c’est ce qui peut légitimer un partage du profit.
Jusqu’à ce jour, on constate une prédominance du capital sur le travail et sur l’initiative. Le travail est rémunéré sous forme de salaires, d’honoraires, de commissions, de rémunérations des sous-traitants, ou de prestations incluses dans les prix d’achats des biens et services utilisés par l’entreprise. L’initiative des dirigeants est souvent rémunérée sous forme de salaires fixes et proportionnels ainsi que par un intéressement, généralement individualisé et calculé sur la réalisation d’objectifs préalablement définis. C’est le niveau de cette rémunération qui, aujourd’hui, fait débat sous les vocables de « rémunération des patrons ». On peut également considérer qu’économiquement la participation des salariés rémunère l’initiative collective des salariés et l’intéressement, leur initiative individuelle. Cependant, avant de proposer de répartir le profit, il convient de s’entendre sur la définition du profit qui peut être réparti.
Notions de résultat
L’article 1832 du code civil définit ainsi la société « La société est institués par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». Le contrat de société peut donc être résumé en une mise en commun de moyens (le capital) en vue de se partager un bénéfice. Ainsi la loi consacre et légitimise la recherche et l’appropriation du bénéfice par les associés.
Le résultat, qui peut être bénéficiaire ou déficitaire, peut être défini comme « ce qui reste après déduction des charges envers les tiers et l’amortissement des investissements » ; en d’autres termes, cela signifie que le capital récupère la totalité des profits ou des pertes, quelle qu’en soit l’importance. Ceci était fondé à une époque où le capital était rare, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Cette conception du résultat entièrement alloué au capital se retrouve naturellement dans le mode de détermination du résultat comptable. En effet, il se calcule en déduisant des produits le coût des achats et charges externes, des salaires et charges, des impôts et taxes, des frais financiers, des amortissements, de l’intéressement et la participation. Le résultat est donc déterminé après déduction du coût du travail, du coût de l’initiative, du coût des capitaux empruntés mais avant le coût des capitaux mis à la disposition de l’entreprise par ses actionnaires. De ce résultat avant impôt, l’Etat en récupère une part (un tiers s’il s’agit d’une société) et le solde est entièrement attribué aux actionnaires en rémunération du capital investi et du risque lié à l’investissement. Les actionnaires peuvent le réinvestir dans la société et/ou le distribuer.
Selon ce mode de calcul, un résultat apparemment bénéficiaire peut, économiquement être déficitaire.
Pour les entreprises individuelles, le résultat intègre la valeur travail du propriétaire-exploitant, ce résultat étant calculé sans pouvoir déduire le coût du travail de l’exploitant et est taxé globalement.
Proposition d’une nouvelle définition du résultat
Un nouveau concept devrait aujourd’hui pouvoir être mis en place. En effet, il semblerait plus judicieux de calculer le résultat d’une entreprise après déduction du coût du capital investi, c'est-à-dire après la rémunération, au prix du marché, du montant des capitaux propres (capital + primes liées au capital + réserves).
Par le passé, nous connaissions une notion proche, celle du premier dividende qui se calculait sur le montant du capital social, mais il n’était pas déduit du bénéfice de la société et constituait la première opération d’affectation du résultat. Le solde pouvait être mis en réserves ou distribué aux actionnaires sous l‘appellation de « superdividende ». Cette distribution se faisait généralement selon les mêmes modalités que le premier dividende, ce qui explique la fusion des deux notions. Nous devrions réintroduire le principe de premier dividende et l’inclure dans les charges financières de l’entreprise au même titre que la rémunération du travail et de l’initiative, celui-ci se calculant sur le montant des capitaux propres.
Le solde après ce 1er dividende représenterait le véritable bénéfice à répartir (à raison d’1/3 par exemple ?) entre :
- les associés ou actionnaires en rémunération du risque pris par les investisseurs (qui pourraient décider de laisser le « dividende risque » en réserves pour réinvestir),
- l’Etat pour contribuer au financement de la solidarité nationale, par l’impôt sur les bénéfices,
- le solde pouvant être réparti entre les acteurs de ce résultat, à savoir : le capital, l’initiative et le travail ; en d’autres termes, les actionnaires, les dirigeants et les salariés selon une quotité restant à définir (1/3 chacun ?). La question reste ouverte.
Les entreprises réalisant des déficits, ferraient également ressortir la réalité économique de leur situation en comptabilisant le coût du capital investi (qu’elles ne pourraient, bien entendu, pas distribuer) . La détermination du résultat après la rémunération du capital investi devrait avoir un effet pédagogique sur la notion de bénéfice des entreprises, notamment auprès des salariés ou lors de la présentation des comptes au comité d’entreprise. Il convient de rappeler que la formule de calcul de la participation des salariés retient cette notion de rémunération du capital puisque la participation = ½ (bénéfice – 5% des capitaux propres) x (salaires / valeur ajoutée) que l’on peut traduire par « la proportion de salaires dans la valeur ajoutée appliquée à la moitié du bénéfice diminué de la rémunération des capitaux propres au taux de 5% ».
En outre, le régime de taxation de ces différents revenus de capitaux pourrait être modulé afin de favoriser, par exemple le réinvestissement en fonds propres ou, à l’inverse les distributions réinvesties dans d’autres sociétés, le placement de la participation et de l’intéressement pour financer les retraites, ou toute autre mesure que les gouvernements successifs souhaiteraient promouvoir. Cette présentation retirerait un argument à certains acteurs de la vie sociale (notamment les anticapitalistes) qui n’hésitent pas à s’indigner « des milliards de profits » réalisés par telle grande entreprise sans s’interroger sur ce que devrait être la juste rémunération du capital investi.
Cela aurait également le mérite d’éclairer tous les acteurs économiques de la réelle performance des entreprises y compris nombre de chefs d’entreprise qui n’appréhendent pas spontanément le coût du capital investi dans l’appréciation de leur performance. Admettre en charges la rémunération du capital investi avant de calculer le résultat comptable d’une entreprise présenterait l’avantage de dégager le profit réellement réalisé par l’entreprise ce qui aurait un rôle pédagogique de montrer que le capital, le travail et l’initiative sont les trois ingrédients nécessaires pour qu’une entreprise fonctionne.