Après le sempiternel "tout est sous contrôle" qui nous a été asséné depuis 2008 sur les plans financiers et économiques suite à la faillite de Lehmann Brother, nous subissons maintenant le "ils n'oseront pas" face aux événements qui mettent sous stress et en mode échec nos frontières mentales.
Bien entendu, les Grecs n'oseront pas défier la troïka et les instances européennes. Il est évident que Vladimir Poutine n'osera pas franchir le Dniepr pour restaurer l'empreinte historique de la Sainte Russie. Enfin, il est clair que les djhadistes vont suivre à la lettre nos campagnes de déradicalisation, épouser les vertus de la République et adhérer à notre libertinage démocratique.
Ces biais de raisonnement constituent nos principales menaces, bien plus que les Grecs, les Russes et les djhadistes... Ces derniers surfent sur nos modes de représentation quasi idéologiques et surtout sur notre peur sidérale de la mort. Nous sommes enfermés dans des schémas collectifs de persuasion qui alimentent de très nombreux dénis de réalités. Ces comportements s'avèrent de plus en plus tragiques sur le fond et pour le moins risibles pour tous ceux qui nous observent de l'extérieur.
Alexis Tsipras ira jusq'au bout de ses intentions
Quand nous examinons le cursus d’Alexis Tsipras, il est évident que son équipe et lui iront jusqu'au bout de leurs intentions. Qu’ont?ils à perdre ? Les institutions européennes et la troïka sont beaucoup plus vulnérables qu'eux et ils le savent. Ils ont tous été formés à l'école de la subversion et du combat trotskiste. Ils connaissent intimement les faiblesses du monde financier et les divisions de la classe politique européenne. Ils ne négocieront pas selon les termes de leurs créanciers. Ces derniers n'ont toujours pas compris que l'argent n'est pas l'élément dimensionnant de cette crise. La fierté du peuple grec, le mépris et la souffrance qui lui ont été infligés sont des moteurs puissants que personne ne peux plus sous?estimer sur le plan politique. La cupidité rend aveugle et insensible.... Alexis Tsipras le sait et il va en jouer à fond avec son binôme Yanis Varoufakis, quitte a provoquer ce Grexit qui ne lui fait absolument pas peur, alors que cette issue nous tétanise littéralement. Nous avons tellement à perdre alors que les Grecs ont déjà tout perdu.
Vladimir Poutine oppose patriotisme et tsarisme
Même chose pour Vladimir Poutine. Il suffit de décrypter tous ses discours officiels, ses prises de position ici et là dans les médias, pour comprendre qu'il ira jusqu'au bout de sa stratégie de restauration de l'espace vital et historique de la Sainte Russie. A l'image stalinienne qui nous est vendue quotidiennement par nos médias, voire son "autisme" selon Angela Merkel, il oppose une posture patriotique et tsariste qui lui vaut une adhésion populaire sans précédent en Russie. Quelles que soient les gesticulations pathétiques des Européens, nos pantomimes et rhétoriques guerrières pour réinventer une menace et une nouvelle légitimité a l'OTAN ou l'agitation des protagonistes sur le terrain sous perfusion des lobbies du complexe militaro?industriel américain, rien ne l'impressionne. Sa détermination est totale et il maîtrise parfaitement, à la byzantine ou à la mongole, selon le tempo des événements, un agenda que nous ne pouvons pas comprendre avec nos schémas de pensée occidentaux trop rationnels. De plus, notre hubris nous enferme dans des rodomontades arrogantes et contre productives.
L'Etat islamique voit la mort comme unique finalité
Quant aux djhadistes qui sont sous l'emprise de réseaux d'embrigadements quiétistes et apocalyptiques, il faut bien comprendre que la mort est leur seule finalité et qu’ils se moquent totalement du respect de l’Etat de droit. L'exécution sommaire de chrétiens, de juifs et encore plus de musulmans considérés comme pervertis et apostats, sans compter leur propre sacrifice, est le seul cheminement qui compte pour eux. S'imaginer dialoguer, négocier et raisonner ces réseaux est de l'ordre du vœu pieux. Leur univers de croyance est différent du nôtre. Il est ancré dans une lecture de la Sunna que nous ignorons totalement et que nous ne pouvons pas décrypter. Pour eux, la terreur doit prévaloir, le temps n'étant pas au compromis! Il suffit juste de connaitre cette règle du jeu, d’intégrer les intérêts masqués de leurs mentors et de l'admettre une fois pour toute.
Nos dirigeants doivent sortir de l'angélisme ambiant
Il serait peut?être temps de sortir de notre angélisme ambiant, de ces débats d’opinion qui sont sans cesse biaisés par l'idéologie ou la paresse intellectuelle. Il est plus qu'urgent d’ouvrir le questionnement sur le fond et de s'interroger notamment sur la véritable nature du risque grec, russe, djihadiste, sur les jeux d'acteurs sous?jacents et sur les pièges qui paralysent nos circuits de décision. La question des angles morts, voire de l’instrumentalisation et de la manipulation des opinions, est cruciale sur ces trois dossiers.
Ces évènements posent des questions de fond très simples. Avec la Grèce, nous sommes confrontés au problème du nantissement des dettes souveraines vis?à?vis duquel il va bien falloir se prononcer au risque de faire éclater une fois de plus le système financier avec des défauts de paiement qui génèreront des dégâts systémiques considérables. Avec l’Ukraine nous sommes interpellés par un nouvel épisode sanglant lié à la déconstruction de l’organisation de ce monde héritier des traités de Versailles et de Yalta. Nous sommes face à ces fractalisations territoriales qui depuis 20 ans ont généré de nouvelles frontières sur des dizaines de pays en passant par l’intermède de guerres civiles atroces. Qu’avons?nous appris entre autre de l’ex?Yougoslavie pour réitérer les mêmes erreurs sur les rivages de la mer Noire ? Tout s’est toujours terminé par une remise en cause de l’intégrité des territoires et conclu par un retour à des tracés identitaires. Quant au terrorisme djihadiste, nous en sommes les promoteurs en ayant accordé aux pays de la péninsule arabique un pouvoir de déstabilisation qui s’est installé désormais comme un cancer au sein de nos démocraties. Nous avons joué avec le feu pour des avantages mercantiles court?termistes. Nous n’avons pas l’antidote pour le moment et la réaction sécuritaire, quels que soient ses résultats indéniables sur le terrain, ne suffit pas à enrayer le processus mortifère qui se développe sur le désenchantement de nos sociétés blasées et angoissées. L’histoire est vraiment tragique, surtout quand elle est écrite par des dirigeants qui se prétendent intelligents…
Un déficit d'anticipation
Il n'y a pas réellement d’effets de surprise sur ces événements que nous traversons, il y a seulement un déficit d’anticipation, une incapacité à imaginer l'inconcevable, à faire bouger les lignes et encore plus a admettre la détermination de ceux qui se désignent comme nos adversaires du fait de nos faiblesses. Rappelons?nous que la devise "Qui ose gagne!", que nous empruntent désormais Alexis Tsipras, Vladimir Poutine et les djihadistes dans leurs stratégies respectives, vaut pour tous ceux qui ont placé l'audace, le mouvement, l’initiative, la prise de risque comme règle d'or de l’action. En privilégiant des postures prudentielles, voire en se dissimulant derrière le principe de précaution avec l’idée qu’ "ils n’oseront pas" toucher à ces statuquos qui assurent notre confort, nous faisons le choix de la fatalité de l’échec, alors que nous pourrions faire preuve d’intelligence et d’imagination sur les champs financiers, diplomatiques, et sécuritaires.