Le père Vjeko
Le père Vjeko parcourut le reste de la route vers Kabgayi dans un état de choc, s’attendant à tout moment à être arrêté ou pris pour cible. À Kabgayi, il reçut son deuxième choc. Un prêtre se précipita vers lui et lui annonça que dix prêtres, trois évêques et l’archevêque de Kigali avaient été assassinés. Des soldats du FPR avaient fait irruption dans leurs chambres dans un état de frénésie et les avaient abattus. On supposait que les meurtres avaient été perpétrés pour venger le massacre de leurs propres familles.
Charles Petrie
Un peu plus d’une semaine après le départ de Gromo, j’étais au Burundi, enquêtant sur les rumeurs d’un nouveau mouvement massif de personnes dans les zones contrôlées par le gouvernement à la suite de l’avancée du FPR. J’ai reçu un appel affolé de Kigali. On venait de découvrir qu’un bâtiment que Gromo et moi avions décidé de faire rénover afin que toutes les agences humanitaires puissent être hébergées ensemble – un bâtiment à proximité, mais pas directement à l’intérieur, du quartier général militaire de l’ONU – avait été miné.
J’ai appelé New York, expliquant la situation. Comme la zone autour du bâtiment était désormais sous contrôle du FPR, on m’a demandé de remettre une lettre du siège de l’ONU qui me serait faxée, adressée au général rebelle Kagame. Jusqu’alors, la branche humanitaire de l’ONU n’avait eu aucun contact direct avec le général rebelle. Le général Kagame avait refusé les invitations à se rendre à Kampala pour rencontrer le coordinateur humanitaire de l’ONU, et le coordinateur humanitaire de l’ONU n’avait manifesté aucune envie de s’aventurer dans les zones contrôlées par le FPR.
Lorsque j’ai reçu le fax, j’ai été surpris par son ton accusateur. New York, semblait-il, était arrivé hâtivement à la conclusion injustifiée que les rebelles devaient répondre de la sécurité du bâtiment. Cela ne convenait certainement pas à mes objectifs. Je tenais à persuader le général Kagame d’accepter une trêve temporaire pour permettre une mission trans ligne dans les zones contrôlées par le gouvernement afin que nous puissions localiser le grand nombre de civils déplacés. Ce fax présomptueux, je le craignais, rendrait cette tâche beaucoup plus difficile.
J’ai contacté l’officier de liaison du FPR à Bujumbura et lui ai demandé de prendre les dispositions nécessaires pour que je remette la lettre du sous-secrétaire général aux affaires humanitaires au général Kagame en personne. Après discussion avec ses supérieurs, l’officier de liaison a accepté de venir me chercher le lendemain à 6 heures et de me conduire chez le général.
Le lendemain matin à l’heure convenue, personne ne s’est présenté. Je me suis assis à une table sur la terrasse de la piscine du Novotel, j’ai commandé un café et un croissant, tout en regardant les colibris battre des ailes dans un buisson voisin. La matinée passa. Ce n’est qu’au moment où je mordais dans un sandwich à midi que l’officier de liaison du FPR est finalement entré.
« Nous y allons tout de suite », a-t-il dit, puis il s’est retourné et est sorti. J’ai empoché le sandwich et je l’ai suivi. Nous devions passer la nuit près de la frontière avec le Rwanda pour la franchir très tôt le lendemain. Pendant le trajet, j’avais débattu avec moi-même de la meilleure façon de remettre la lettre injurieuse au général sans compromettre mes chances d’obtenir un accord pour l’opération de traversée. J’ai décidé qu’il valait mieux que le général soit prévenu du contenu de la lettre afin qu’il puisse la digérer avant que nous ne parlions. Même si c’était une stratégie risquée – il pouvait décider de ne pas me rencontrer – j’ai pensé qu’il valait mieux que je sois perçu comme transparent. Ce soir-là, au cours d’un dîner frugal, j’ai montré le contenu du fax à l’officier de liaison du FPR. Il l’a lu et a haussé les épaules.
Le lendemain matin, nous sommes rentrés sans difficulté dans la partie du Rwanda contrôlée par les rebelles, puis nous nous sommes arrêtés. On m’a dit que le général viendrait à ma rencontre. J’ai attendu là toute la journée, à regarder des bus remplis de jeunes recrues tutsies du Burundi traverser la frontière vers le Rwanda. Vers 17 heures, une heure avant que le soleil ne commence sa descente rapide, on m’a dit que nous devions rencontrer le général ailleurs.