Marc Ferracci : Nouveau ministre, vraie ambition industrielle ?

Pendant des décennies, la France a vu son industrie s’effriter, victime d’une mondialisation mal anticipée, d’une fiscalité dissuasive et d’un désengagement progressif des pouvoirs publics. À l’heure où l’Europe cherche à rivaliser avec les colosses industriels que sont les États-Unis et la Chine, l’arrivée de Marc Ferracci comme ministre délégué à l’Industrie suscite des attentes inédites. Portera-t-il une véritable vision industrielle, capable de réparer des décennies de recul et de propulser la France vers une souveraineté économique durable ?

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Par Paolo Garoscio Publié le 20 novembre 2024 à 9h30
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Une industrie en quête de réinvention

La désindustrialisation française est une réalité partout sur le territoire, certains bassins étant plus touchés que d’autres, notamment les bassins miniers et métallurgiques. Entre 1980 et 2020, des milliers d’usines ont fermé, tandis que l’emploi industriel a fondu de près de 40 %, soit une perte de deux millions de postes. Des territoires entiers, comme les Hauts-de-France et la Lorraine, se sont trouvés dévitalisés, confrontés à des taux de chômage record et à une crise identitaire profonde.

Les causes de ce déclin sont multiples. La mondialisation a offert des débouchés à certaines entreprises exportatrices mais a aussi fragilisé des secteurs comme le textile, la sidérurgie ou l’électronique, incapables de rivaliser avec des concurrents asiatiques aux coûts bien moindres. S’y ajoute une fiscalité historiquement lourde sur les entreprises, avec des impôts de production qui, jusqu’à récemment, figuraient parmi les plus élevés d’Europe. Enfin, l’incapacité de l’État à coordonner une stratégie industrielle cohérente a laissé l’innovation orpheline de moyens. En comparaison, l’Allemagne, souvent citée en exemple, a su investir dans ses Mittelstand, ces PME industrielles qui constituent aujourd’hui l’épine dorsale de son économie.

Marc Ferracci hérite donc d’une situation complexe. Cependant, l’homme ne manque ni d’idées, ni de détermination. Ancien économiste et proche d’Emmanuel Macron, il s’est rapidement positionné comme un défenseur de la réindustrialisation de la France.

L’industrie comme pilier d’une transition écologique ambitieuse

Dès sa prise de fonction, Marc Ferracci a clairement affiché ses priorités : conjuguer relance industrielle et décarbonation. Une nécessité, alors que l’industrie française représente encore près de 20 % des émissions de gaz à effet de serre du pays et que l’urgence écologique ne peut plus être ignorée.

Une enveloppe de 1,55 milliard d’euros a donc été débloquée pour accélérer la transition vers des procédés industriels bas carbone. Cet effort se concentre notamment sur des secteurs comme la sidérurgie et la chimie, qui restent très émetteurs d’émissions polluantes. Des projets pilotes, comme l’intégration de technologies d’hydrogène vert dans les aciéries, sont en cours, en partenariat avec des acteurs européens.

Le pari est risqué mais stratégique. À court terme, ces investissements augmentent les coûts pour les entreprises concernées, mais à long terme, ils pourraient positionner la France comme un leader européen des technologies vertes. Le ministre a d’ailleurs défendu l’idée d’un « Pacte Industrie Propre » lors d’une rencontre franco-allemande, soulignant que la France ne peut réussir seule. La transition écologique de l’industrie, selon lui, doit être pensée à l’échelle européenne, en renforçant à la fois les subventions et la protection commerciale face aux pratiques déloyales de la Chine et des États-Unis.

Relocalisations et souveraineté économique

Si la prise de conscience sur l’industrie est arrivée tard, elle est liée, entre autres, à la crise sanitaire mondiale. La pandémie de COVID-19 a cruellement révélé la dépendance de la France à des chaînes d’approvisionnement globalisées. Des secteurs stratégiques, comme la production pharmaceutique ou les semi-conducteurs, se sont retrouvés paralysés. C’est dans ce contexte que le gouvernement défend une politique de relocalisation active.

L’un des exemples les plus marquants de cette stratégie est le développement de l’usine de batteries électriques ACC dans le Pas-de-Calais. Ce projet, financé par un partenariat entre Stellantis, TotalEnergies et Mercedes-Benz, représente un investissement de deux milliards d’euros et devrait créer 2 000 emplois d’ici 2025. En soutenant ce type d’initiatives, le ministre cherche à renforcer l’autonomie de l’Europe face à l’hégémonie chinoise dans les batteries et les véhicules électriques. Même chose en Lorraine, à Hambach, avec la giga-usine HoloSolis qui produira des panneaux solaires.

Cependant, la relocalisation exige des infrastructures adaptées, une fiscalité compétitive et une main-d'œuvre qualifiée. Sur ce dernier point, Marc Ferracci a annoncé un objectif ambitieux : former près de 800 000 personnes aux métiers industriels d’ici 2035, avec une attention particulière portée aux jeunes et aux femmes, sous-représentées dans ces secteurs.

Une vision européenne face aux défis mondiaux

Si la France veut redevenir une puissance industrielle, elle ne peut néanmoins le faire qu’en coopération avec ses partenaires européens. Le ministre français de l’Industrie l’a bien compris et multiplie les initiatives transfrontalières. L’Allemagne, en particulier, est un allié stratégique. Ensemble, les deux pays travaillent à la mise en place de politiques communes, notamment dans le domaine des énergies renouvelables et des infrastructures industrielles.

Mais le chemin est semé d’embûches. L’Union européenne reste fragmentée dans sa politique industrielle, et les subventions annoncées par Bruxelles sont souvent jugées insuffisantes face aux milliards investis par les États-Unis dans le cadre de l’Inflation Reduction Act. Ce déséquilibre risque de détourner des investissements stratégiques vers l’Amérique. Pour éviter ce scénario, il appelle à une coordination accrue entre les États membres, combinée à une simplification des procédures administratives qui freinent trop souvent les projets industriels d’envergure.

Les limites d’une ambition industrielle

Malgré ces initiatives prometteuses, les défis restent immenses. La dette publique française, qui atteint désormais 112 % du PIB, limite les marges de manœuvre budgétaires. Les entreprises, bien que soutenues par des subventions, doivent encore assumer des coûts importants pour s’adapter à la transition écologique. Par ailleurs, la gestion des crises sociales, comme les récents plans sociaux dans l’automobile, reste une pierre d’achoppement. Marc Ferracci a certes engagé un dialogue avec les syndicats et les industriels, mais des critiques émergent sur l’efficacité des mesures d’accompagnement.

Enfin, la mobilisation de l’immigration de travail, jugée essentielle pour combler le manque de main-d'œuvre dans certains secteurs, pourrait susciter des résistances politiques et sociales, alors même que le gouvernement cherche à apaiser les tensions sur ce sujet.

Si les projets que le ministre défend aboutissent, ils pourraient transformer le paysage industriel français, et replacer la France au cœur de la révolution industrielle verte en Europe. Un défi titanesque, mais indispensable pour l’avenir économique du pays. La question est désormais de savoir si cette ambition sera portée avec la rigueur et la constance nécessaires.

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Après son Master de Philosophie, Paolo Garoscio s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013. Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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