Chaque année, l’État français déploie des milliards d’euros en aides publiques destinées à soutenir les entreprises industrielles. Si certaines parviennent à maximiser ces opportunités pour renforcer leur compétitivité, d’autres, notamment les petites et moyennes entreprises (PME), peinent à en tirer profit. L’enquête de la Cour des comptes relayée par Challenges en exclusivité revient sur les raisons de cet échec
Les entreprises et les aides publiques : les privilégiées et les oubliées
Les champions de l'accès aux aides : grandes entreprises et stratégies rodées
Les grandes entreprises captent une part disproportionnée des aides publiques. Les groupes industriels de premier plan disposent de moyens considérables pour identifier, solliciter et gérer ces aides. Cela inclut des dispositifs tels que le crédit impôt recherche (CIR), qui bénéficie largement à des entreprises de secteurs comme l’aéronautique, l’automobile ou la microélectronique. En effet, les grandes entreprises disposent souvent d’équipes dédiées à la gestion des financements publics. Ces départements spécialisés analysent les appels à projets, préparent des dossiers solides et assurent un suivi rigoureux.
Grâce à leurs moyens plus importants, les grandes entreprises peuvent suivre une stratégie de captation des aides publiques. Elles alignent leurs projets avec les axes prioritaires définis par les programmes publics, comme France 2030. Elles présentent des projets dans des domaines comme la transition énergétique ou l’innovation technologique. Et surtout, elles peuvent influencer certaines décisions politiques en leur faveur par des actions de lobbying. Ces avantages permettent aux grandes entreprises de capter les financements, souvent au détriment de PME moins bien armées pour naviguer dans la complexité administrative.
Airbus et Safran sont ainsi des bénéficiaires récurrents des aides de l'État, notamment via des prises de participation par l'Agence des participations de l'État (APE). Ces entreprises ont su aligner leurs projets d'innovation et de développement avec les priorités étatiques, ce qui leur permet de bénéficier de subventions, incitations fiscales et prêts bonifiés. Près de 60 % des fonds du CIR sont captés par les grandes entreprises, bien que celles-ci représentent une fraction minoritaire des acteurs industriels.
Les oubliées des aides : PME et ETI en quête de soutiens
A l’inverse, les PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI), pourtant essentielles au tissu industriel, peinent à accéder aux aides publiques. Ces entreprises rencontrent plusieurs obstacles. La bureaucratie lourde et les procédures complexes découragent les plus petites structures. Elles manquent d’information sur les dispositifs existants et sur les critères d’éligibilité. Elles ont toutes les peines du monde à suivre la concurrence disproportionnée face aux grandes entreprises.
Ainsi, dans le cadre du programme France 2030, plusieurs PME ont dénoncé des appels à projets trop vastes ou des critères favorisant indirectement les grands groupes. Les aides destinées à la recherche et à l’innovation (CIR) sont rarement adaptées aux besoins des petites entreprises .Certains dispositifs sont pourtant censés cibler directement les PME, comme les aides à l’apprentissage ou les exonérations de cotisations sociales. Toutefois, ces aides restent insuffisantes pour leur permettre de se positionner sur des projets stratégiques ou d’enclencher une réelle transition industrielle, explique le rapport dévoilé par Challenges.
Résultat, moins de 40 % des fonds du CIR atteignent les PME, bien que celles-ci représentent plus de 90 % des entreprises industrielles françaises. Les aides directes via Bpifrance et d'autres fonds publics, bien qu’en augmentation, sont souvent de moindre ampleur, limitant leur impact sur des projets de transformation.
Les solutions pour une répartition plus équitable
Si l’Etat veut continuer à injecter de l’argent public dans les entreprises, un changement dans les règles d’attribution semble nécessaire. Il peut s’agir de simplifier les démarches administratives, avec la création d’un guichet unique pour centraliser les informations et réduire les barrières d’entrée. On peut également imaginer des bases de données ou des formations qui aideraient les PME à monter des dossiers compétitifs. Les montants alloués à des projets spécifiques peuvent également être ajustés, avec un suivi plus rigoureux des résultats.
Toutefois, ces leviers ne résoudraient pas le problème principal des PME : elles n’ont pas les moyens humains et financiers de monter des dossiers de demande d’aides. Cela leur demanderait de cesser de travailler, de produire, d’innover, de se développer, pour consacrer le temps libéré à la bureaucratie. Une perspective qui, en plus d’être d’une efficacité discutable, n’a aucune garantie de résultat et semble moins enthousiasmante pour les salariés.