Alors que l’Union Européenne traverse une période de turbulences économiques et géopolitiques, la Commission Européenne a choisi de consacrer son énergie à un nouvel affrontement juridique contre la France. Elle juge une pratique de chasse traditionnelle dans le Sud-Ouest “non conforme à la directive Oiseaux”.
Directive Oiseaux : la Commission européenne ne veut plus de la chasse traditionnelle française

Le 12 février 2025, la Commission Européenne a annoncé la saisine de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) contre la France pour non-respect de la directive Oiseaux. Elle met en cause l’usage de filets pour capturer des pigeons ramiers et palombes dans cinq départements du Sud-Ouest. Bruxelles considère que cette méthode est non sélective et enfreint le droit européen.
La directive Oiseaux : une application dogmatique à géométrie variable
La directive Oiseaux, adoptée en 1979 et renforcée en 2009, interdit l’utilisation de certaines méthodes de capture d’oiseaux jugées trop peu sélectives. Son objectif est clair : éviter une surmortalité des espèces protégées et assurer le maintien des populations. Le texte laisse néanmoins aux États la possibilité de mettre en place des dérogations sous conditions strictes.
Dans le cas de la France, la Commission Européenne estime que la chasse aux filets ne répond pas aux critères de sélectivité et qu’aucune preuve n’a été apportée pour justifier son usage. Pourtant, cette pratique est encadrée et ne concerne que des espèces non menacées. Des méthodes similaires sont toujours tolérées dans d’autres États membres, sans que Bruxelles ne brandisse la menace d’une saisine de la CJUE.
Si la protection de la biodiversité est un impératif, pourquoi la Commission s’acharne-t-elle contre la France alors que des pratiques bien plus contestables persistent ailleurs ? À Malte, par exemple, la chasse au filet pour les pinsons a été maintes fois dénoncée par les ONG, mais les sanctions restent timides. En Espagne, les chasses traditionnelles, y compris certaines méthodes non sélectives, font l’objet de débats mais ne semblent pas provoquer la même intransigeance de Bruxelles.
Une décision qui illustre le décalage entre Bruxelles et les réalités locales
Au-delà du fond de l’affaire, la procédure engagée contre la France est révélatrice d’un problème récurrent au sein de l’Union Européenne : la tendance de la Commission à imposer ses priorités réglementaires, souvent sans concertation avec les réalités locales. Cette chasse aux filets, qui concerne un nombre restreint de chasseurs et une population d’oiseaux en expansion, devient ainsi une cause prioritaire pour Bruxelles, alors même que d’autres défis environnementaux majeurs, comme la pollution des sols ou la déforestation industrielle, restent souvent relégués au second plan.
Cette approche centralisée et technocratique nourrit une défiance croissante vis-à-vis des institutions européennes. Elle alimente le sentiment que Bruxelles légifère depuis ses bureaux sans réellement tenir compte des réalités économiques, culturelles et sociales des territoires concernés. La colère des chasseurs, mais aussi celle des élus locaux, n’est pas seulement une réaction corporatiste : elle traduit un malaise plus profond sur la manière dont l’Europe encadre les activités rurales, souvent en opposition avec des traditions ancrées depuis des siècles.
Une levée de boucliers politique en France
Face à cette procédure, le gouvernement français a rapidement réagi. Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, a défendu la légitimité de cette chasse traditionnelle, rappelant que les espèces concernées ne sont aucunement menacées et que cette méthode de capture a des avantages environnementaux par rapport à l’usage du fusil. Elle a également dénoncé l’approche sélective de Bruxelles, qui semble plus prompte à attaquer la France qu’à sanctionner d’autres États membres aux pratiques similaires.
Les parlementaires des régions concernées sont montés au créneau, dénonçant une décision bureaucratique prise sans concertation avec les acteurs locaux. Plusieurs députés et sénateurs ont adressé une lettre au gouvernement pour exiger une réponse ferme face à Bruxelles, estimant que la Commission Européenne ne pouvait pas continuer à dicter ses normes sans prendre en compte la diversité des situations nationales.
Willy Schraen, président de la Fédération Nationale des Chasseurs, a dénoncé un "acharnement idéologique insupportable" contre la chasse française, rappelant que la Commission se montre bien moins sévère avec d’autres États lorsqu’il s’agit d’infractions environnementales pourtant bien plus graves.
Les priorités de Bruxelles en question
Ce dossier interroge aussi sur les priorités de la Commission Européenne. L’UE fait face à des défis économiques et géopolitiques de premier ordre : inflation persistante, crise énergétique, tensions agricoles, instabilité aux frontières orientales. Pourtant, la Commission choisit d’investir des ressources considérables pour poursuivre un pays membre sur une question de chasse traditionnelle.
Le choix de se focaliser sur ce dossier au détriment d’autres urgences environnementales soulève des critiques. La même intransigeance n’est pas appliquée lorsqu’il s’agit de lutter contre les pollutions massives de certains États membres. La Commission adopte une attitude bien moins offensive face aux industries qui exploitent les ressources naturelles sans réelle régulation, laissant ainsi subsister des pratiques aux conséquences environnementales bien plus graves. Cette différence de traitement alimente le sentiment d’une gestion déséquilibrée des priorités européennes.
Une affaire révélatrice des tensions au sein de l’Union Européenne
Cette affaire dépasse largement le cadre d’une simple question de chasse. Elle révèle une tendance lourde dans le fonctionnement de l’UE : une application différenciée des règles selon les États, un manque de coordination avec les réalités locales et une focalisation parfois excessive sur des sujets secondaires au détriment de problématiques bien plus urgentes.
Le verdict de la CJUE, attendu dans les prochains mois, sera scruté de près. S’il confirme la position de la Commission, il pourrait raviver les tensions entre la France et Bruxelles. À l’inverse, une reconnaissance des arguments français marquerait un rééquilibrage bienvenu entre réglementation européenne et respect des spécificités nationales.
Dans tous les cas, cette procédure risque d’accroître le scepticisme envers les institutions européennes, en particulier dans les territoires ruraux où l’on perçoit déjà Bruxelles comme une machine administrative éloignée des réalités du terrain. Loin d’être anodine, cette affaire pourrait donc laisser des traces bien au-delà du monde de la chasse.