Déconfinée, la France essaie de se réinventer. Les technologies constituent une piste intéressante de sortie de crise, mais les craintes sont multiples. Carmen Munoz-Dormoy, directrice générale de Citelum met en avant des solutions qui ont déjà fait leur preuve et qui permettent de donner corps au terme de résilience brandi avec force depuis mars dernier.
Les technologies du numérique sont au cœur de la réponse des pouvoirs publics dans la crise du Covid-19. Quelle est votre approche à ce sujet ?
L’approche de Citelum est extrêmement claire. Le numérique est un outil utile qui doit être très respectueux des libertés individuelles et inattaquable sur le plan de la protection des données. L’acceptation des solutions proposées est essentielle surtout dans le contexte actuel avec les questionnements légitimes des citoyens sur la question du traçage.
La Chine fait figure d’épouvantail avec notamment une application qui classe les citoyens et leur permet l’accès à un certain nombre de services publics en fonction de leur note. Ce contre-exemple ne doit pas occulter l’utilisation de technologies numériques beaucoup plus respectueuses des données individuelles. Je pense notamment au projet OnDijon où le Président de la Métropôle François Rebsamen et son équipe notamment menée par Philippe Berthaut, Directeur Général des Services, ont démontré le bon usage des technologies dans le cadre de la crise sanitaire. OnDijon regroupe 23 communes de la métropole dijonnaise et permet de piloter en temps réel des questions aussi importantes que la sécurité, la voirie ou encore les transports en commun. Cette technologie a permis l’optimisation du fonctionnement des services de la ville, la coordination des équipes et des réponses aux citoyens.
Il y a donc deux modèles d’utilisation du numérique. L’un peut être intrusif et liberticide tandis que l’autre, celui proposé par Citelum, est un vecteur de services en faveur des habitants. On remarque d’ailleurs que le projet Sidewalk de Toronto, porté par Google, vient d’être arrêté de manière relativement discrète. Ce projet était peut-être mal calibré, car la technique avait tendance à prendre le pas sur le pouvoir politique. Cet exemple conforte Citelum dans sa position, à savoir la protection des données individuelles, le respect de la confidentialité, la souveraineté par les pouvoirs publics sur la technique et un projet de ville guidé par les attentes des citoyens.
Comment fonctionne la technologie Muse et en quoi est-elle qualifiée dans la gestion de crise ?
Muse est une plateforme multidomaine. L’un de ses modules permet de coordonner les interventions et d’échanger des informations entre les différents acteurs (la mairie de Dijon, la métropole, différents services publics et les équipes de OnDijon) afin de coordonner les actions. Dans le cadre de OnDijon, c’est l’un des éléments (avec notamment le dispositif d’écoute citoyenne mis en place par la métropole) qui a contribué à une meilleure coordination des acteurs lors de la crise sanitaire. Il a été aisé de piloter les actions, de générer des reportings utiles afin d’anticiper les problèmes et de les traiter rapidement le cas échéant.
Concrètement, lors de la phase de déconfinement, les transports ont été assez perturbés dans toutes les villes avec notamment un essor de la mobilité douce. Grâce au centre de contrôle, les élus dijonnais ont pu récupérer toutes les informations et activer des réponses adaptées et rapides pour les usagers.
Comment Citelum a-t-elle fait en sorte de protéger ses salariés notamment ceux qui interviennent sur le terrain ?
Les équipes sur le terrain en charge des interventions bénéficient naturellement de tout le matériel nécessaire pour se protéger et protéger les autres (équipements de protection, masques et gels hydroalcooliques). La plupart des salariés sédentaires sont en télétravail depuis le début du confinement. Aujourd’hui, seuls 10 % des collaborateurs qui travaillent habituellement au siège de Citelum se rendent dans nos bureaux quotidiennement afin d’y exercer des activités de support qui nécessitent une présence physique. Bien évidemment, ils bénéficient aussi de masques et solutions hydroalcooliques et sont appelés à respecter la distanciation physique. Ce faible taux de présentiel malgré le maintien d’une forte activité a été rendu possible grâce aux solutions digitales.
J’ai pris aussi l’initiative d’utiliser Muse en tant qu’employeur pour répondre à nos obligations dans le cadre de la sortie de crise sanitaire. Tout employeur doit pouvoir prouver qu’il a mis en œuvre tous les moyens possibles pour protéger efficacement ses salariés. Ainsi, l’utilisation de Muse intervention en gestion de crise permet de recenser les demandes de nos équipes sur des besoins d’approvisionnement en masques et solutions hydroalcooliques, le nettoyage des locaux, mais aussi d’assurer la traçabilité de nos actions. Les demandes sont traitées efficacement par les bons services et avec beaucoup de réactivité.
Existe-t-il d’autres solutions technologiques dont la mise en place est rapide ?
Oui, nous en proposons beaucoup avec toujours pour principe incontournable le service rendu sans intrusion dans la vie privée des gens. Dans le contexte actuel, il est nécessaire de répéter que les outils de la ville intelligente, les objets connectés, les infrastructures peuvent être utilisés de façon vertueuse pour rendre des services vraiment utiles. Contrairement à ce qu’il se fait dans certains pays où les caméras opèrent de manière intrusive à des fins de contrôle de la population, nous proposons à nos clients des solutions simples d’emploi et respectueuses des citoyens. Il est par exemple possible de recourir à des caméras placées aux entrées des parcs et jardins comme un moyen de comptage et d’indication de la fréquentation en temps réel. Les personnes désireuses de profiter de ces espaces verts peuvent ainsi s’autoréguler avec des indications aux entrées. Si la fréquentation est trop forte, alors les nouveaux venus sont appelés à attendre ou rebrousser chemin. Il s’agit d’une technologie utile au service de la sécurité.
Les caméras thermiques peuvent aussi informer les citoyens de leur température afin de les alerter et les encourager à éviter tout contact en cas de doute. Les données restent strictement personnelles sans besoin d’être partagées. Nous travaillons également avec l’un de nos clients sur la problématique des pistes cyclables. Nous pouvons mesurer le taux d’utilisation de ces pistes et procéder à des aménagements lorsque cela est nécessaire.
Je crois beaucoup en la capacité de la technologie à traiter et exploiter les informations localement (edge computing) et faire appel à l’autorégulation citoyenne. Je prendrais comme dernier exemple, la ville espagnole de Sant Cugat où Citelum a mis en place des luminaires qui clignotent dès lors que le niveau de bruit est trop important. Les habitants et les patrons des cafés, qui sont informés du dispositif, font preuve de civisme. Ils savent aussi que c’est une façon d’éviter des mesures plus contraignantes, comme une fermeture. Nous sommes bien dans un usage respectueux et vertueux des technologies.
La crise sanitaire va-t-elle induire des changements importants ?
J’espère qu’il va y avoir une prise de conscience à plusieurs niveaux. Premièrement, au niveau environnemental avec l’émergence d’un plus grand nombre de projets responsables. Les possibilités sont multiples avec les économies d’énergie, les mobilités douces ou encore électriques. Il faut répondre à l’impératif de développer des projets vraiment durables.
Deuxièmement, il existe un volet technologique d’ampleur avec beaucoup de solutions utiles. Je me réjouis des retours très positifs de François Rebsamen et de son équipe à propos du projet OnDijon. Un projet que la Métropole a pensé pour les habitants et dont les fruits sont bien visibles.
Enfin, il est primordial de remettre l’humain et le social au centre de l’équation. Il faut arriver à convaincre les citoyens de l’intérêt des dispositifs mis en œuvre. Pour cela, la concertation et le respect des attentes de chacun, notamment en termes de respect de la vie privée, sont incontournables. La crise que nous traversons peut changer les mœurs. A nous d’accompagner ces changements pour les rendre vertueux.