Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a annoncé, dimanche 21 janvier 2024, le report de son projet de loi « en faveur du renouvellement des générations en agriculture ». Une décision qui fait suite à l’intensification des manifestations des agriculteurs et qui positionne ce sujet sur le devant de la scène pour les prochaines élections européennes.
Manifestation des agriculteurs : le ministre reporte son projet de loi
Marc Fesneau reporte son projet de loi sur l'agriculture « de quelques semaines »
Le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, a pris la décision de reporter son projet de loi, initialement prévu pour être présenté en Conseil des ministres le 24 janvier 2024. Ce projet, vise le « renouvellement des générations en agriculture ». D'après le ministère de l'Agriculture, « un tiers des agriculteurs, soit 166 000 exploitants ou co-exploitants agricoles, seront en retraite dans les dix prochaines années ». Ce report, selon Marc Fesneau, vise à intégrer des ajustements réglementaires en faveur du secteur. Il intervient dans un climat de tension, exacerbé par le poids des normes européennes. Les agriculteurs expriment leur ras-le-bol depuis presque une semaine par le biais de manifestations et de blocages de routes, notamment de l'A64, toujours bloquée, à Tiers, de la nationale 124 dans le Gers, et dans l'Ariège.
Ils accusent le mille-feuille des normes européennes qui profitent notamment aux produits ukrainiens, l'interdiction de certains pesticides et la hausse des charges. À l'échelle nationale, les revendications des agriculteurs s'articulent davantage contre l'augmentation du prix du carburant et ils dénoncent les délais d'indemnisation suite aux derniers événements climatiques et aux crises sanitaires qui ont touché le bétail. La colère des agriculteurs a atteint son paroxysme dans la nuit du jeudi 18 janvier 2024 avec l'attaque revendiquée par le Comité d'Action Viticole sur les locaux de la direction générale de l'Environnement. Le ministre de l'Agriculture s'est néanmoins voulu rassurant en affirmant qu'il n'y avait « pas du tout de panique au sein du gouvernement », faisant ainsi écho à la crise des gilets jaunes.
L'Union européenne souhaite-t-elle la mort de nos agriculteurs ?
En 1982, la France comptait plus de 1,6 million d'agriculteurs. Aujourd'hui, il n'existe plus que 380 000 exploitations agricoles. 91 % des Français ont une bonne opinion des agriculteurs, preuve qu'ils continuent de considérer l'agriculture comme essentielle pour le pays. Pour autant, selon un sondage de l'Ifop, seuls 21 % d'entre eux recommanderaient à leurs enfants de s'engager dans cette voie. Le secteur peine depuis maintenant 70 ans à attirer de jeunes qui puissent prendre la relève. Au niveau national, le projet de loi du ministre de l'Agriculture prévoit de créer un nouveau diplôme, le « bachelor agro », ainsi que de mettre en place un réseau « France services agriculture » pour faciliter l'installation des prochaines générations d'agriculteurs. Il vise également à raccourcir les délais administratifs, notamment pour ce qui concerne les indemnisations par l'État en cas d'évènement imprévisibles (climat, virus, etc.), et à protéger les agriculteurs de la « surnormation européenne », reconnue par le ministre, quand celle-ci « menace la compétitivité française ». « On met des moyens auprès des agriculteurs pour les accompagner dans les transitions et pour améliorer leur compétitivité », s'est ainsi défendu Marc Fesneau. En parallèle, le gouvernement a appelé les syndicats à lui soumettre des propositions. Plusieurs personnalités politiques ont fait part de leur soutien aux agriculteurs, plus particulièrement à la droite de l'échiquier politique. Le président de Reconquête, Éric Zemmour, n'a pas ménagé sa critique à l'égard de l'Union européenne au micro de BFMTV dimanche 21 janvier 2024, allant jusqu'à qualifier la situation comme de la « tyrannie de la Commission de Bruxelles ». Sous le même ton, Jordan Bardella a mis le programme du Rassemblement National en opposition à « l'Europe de Macron qui veut la mort de notre agriculture ».
La politique agricole européenne commune (PAC), mise en place en 1962, avait pour objectif de relancer le secteur, dont une partie avait été détruit pendant la Seconde mondiale, notamment en augmentant les revenus des agriculteurs. Les résultats des premières années étaient plutôt encourageants. Mais depuis lors, l'Union européenne a multiplié les réformes de la PAC et elle n'a cessé de réduire son budget alloué au secteur agricole. Aujourd'hui, un agriculteur ne peut espérer bénéficier des aides que s'il respecte les normes écologiques de l'UE, et celles-ci sont calculées en fonction de la surface de son exploitation et du nombre de bêtes qui composent ses élevages. Les agriculteurs n'ont d'autre choix que de se regrouper, les petites exploitations étant vouées à disparaître. Il suffit d'ajouter à cela les accords de libre-échange, et la mécanisation du secteur qui incite les agriculteurs à s'endetter, pour voir la corde se resserrer d'elle-même... C'est d'ailleurs ce qui se produit : tous les deux jour, la France perd un agriculteur par suicide, selon les chiffres de Santé publique France. La colère des agriculteurs français est loin d'être isolée, elle a déjà pris racine dans plusieurs pays européens, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas, en Hongrie ou encore en Pologne. Comme l'a souligné Kai Arzheimer, professeur de science politique à l'université de Mayence (Allemagne), sur France Info : « Tous les fermiers européens n'ont pas les mêmes problèmes, mais ils ont en commun de dépendre largement de l'Union européenne pour des subventions ». Il en va pourtant de la souveraineté alimentaire de chacun des pays membres, mais ces derniers continuent hélas à s'asphyxier sous le toxique mille-feuille européen. Les élections européennes approchant, le monde agricole compte bien y faire entendre sa voix.