Aide sociale à l’enfance : quand l’État oublie les enfants placés

L’Aide sociale à l’enfance, censée protéger les plus vulnérables, se retrouve aujourd’hui au banc des accusés.

Adelaide Motte
By Adélaïde Motte Published on 18 avril 2025 11h02
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 Aide sociale à l’enfance : quand l’État oublie les enfants placés - © PolitiqueMatin

Le 14 avril 2025, une plainte formelle a été déposée contre la France devant le Comité des droits de l’enfant de l’Organisation des Nations unies. Au cœur du dossier : les manquements systémiques de l’aide sociale à l’enfance, dénoncés depuis des années, trouvent désormais un écho judiciaire international. Or, on vient de découvrir que 450 personnes, aux profils potentiellement dangereux, ont récemment été écartées des services de l’ASE grâce à un système de vérification renforcé des antécédents. Un chiffre qui interroge : que se passait-il avant ?

Aide sociale à l'enfance : un système qui laisse passer les prédateurs

Les révélations sont implacables. Dans les six départements où le nouveau système de vérification des antécédents a été expérimenté depuis septembre 2024, 435 personnes ont été écartées pour des condamnations inscrites au casier judiciaire, et 20 autres figuraient dans le FIJAISV (fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes). Ces chiffres, révélés par Le Parisien le 18 avril 2025, donnent le vertige. Car avant cette expérimentation, ces profils auraient pu – et parfois ont effectivement pu – travailler au contact direct d’enfants.

Derrière ces chiffres se cache un constat accablant, résumé par Katy Lemoigne, directrice de l’association Chanteclair : « La protection de l’enfance, parce qu’elle s’occupe de mineurs vulnérables, est particulièrement exposée aux prédateurs sexuels ». C'est très simple. Si vous voulez disposer d'enfants, de préférence vulnérables et sans autre adulte vers qui se tourner que vous-mêmes, où allez-vous travailler ? A l'Aide sociale à l'Enfance. Le raisonnement est cruel, cynique et d'une logique implacable.

L’inaction coupable de l’État français pointée à l’ONU

Cette omerta institutionnelle n’est plus tenable. Le 14 avril 2025, Sara Després, avocate et ancienne enfant placée, a saisi le Comité des droits de l’enfant de l’ONU pour dénoncer « des violations graves et récurrentes » des droits fondamentaux des mineurs confiés à l’ASE. Un dépôt de plainte lourd de symboles, motivé par le rapport parlementaire accablant publié le 8 avril, qui décrit un système « exsangue, attentatoire aux droits fondamentaux ».

Parmi les faits reprochés : l’absence d’un cadre national unifié, des conditions d’hébergement indignes, des actes de maltraitance impunis, et l’abandon institutionnel de jeunes majeurs livrés à eux-mêmes après leur placement. Le suicide d’une jeune fille de 15 ans dans un foyer du Var y est cité comme emblème de l’échec collectif.

Quand les associations admettent faire appel à des profils non vérifiés

Le comble de l’absurde ? Ce sont les associations elles-mêmes qui reconnaissent parfois recruter sans pouvoir vérifier les antécédents. En cause : un accès trop lent et trop complexe aux fichiers judiciaires, comme l’a reconnu Pierre-Alain Sarthou, directeur général de la CNAPE (fédération de services de protection de l’enfance) : « Le contrôle des antécédents est très difficile, très disparate et parfois impossible ».

La situation est si critique que la loi Taquet de 2022, censée renforcer ces contrôles, peine encore à être appliquée. Le dispositif expérimental, qui oblige les professionnels et bénévoles à produire une « attestation d’honorabilité » avant d’intervenir auprès de mineurs, pourrait à terme concerner un million de personnes, selon la ministre des Solidarités Catherine Vautrin.

Une protection des enfants à géométrie variable

Malgré les promesses, les réalités locales restent contrastées. Des départements surchargés, des foyers débordés, des éducateurs précarisés et un recours croissant à l’intérim contribuent à une perte de contrôle dramatique. Et pendant ce temps, des enfants, placés pour être protégés, deviennent les victimes d’un système défaillant. Une faute de plus alors qu'en France, les enfants sont également de plus en plus touchés par la pauvreté. Des milliers d'entre eux sont même contraints de dormir dehors.

La ministre peut bien vanter un système « plus simple, avec moins d’erreurs », le mal est fait. La question qui dérange persiste : combien de prédateurs ont échappé à tout contrôle ces dernières années ?

Ce qui n’était jusqu’ici qu’un sujet d’enquête ou de rapport devient désormais une affaire internationale. La plainte à l’ONU pourrait ouvrir la voie à des sanctions, ou au minimum à une pression politique accrue sur la France. En toile de fond, des cas comme celui de Pierre-Alain Cottineau — militant associatif, ancien candidat LFI, et surtout pédocriminel employé à l’ASE et impliqué dans un réseau de mise à disposition de mineurs — rappellent que les failles ne sont pas anecdotiques, mais structurelles.

Adelaide Motte

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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