Bousculé, par ricochet, par la crise des sous-marins, l'Union européenne réitère son soutien à la France et songe à renforcer sa capacité d'action internationale. De son côté, la France doit peut-être redéfinir son réseau de partenaires.
« Coup de poignard dans le dos », « claque politique », « Trafalgar », la rupture du contrat conclu en 2016 entre Naval group et l'Australie prévoyant la livraison de douze sous-marins français aura fait couler beaucoup d'encre et suscité une vague d'indignation en France. « Il y a eu mensonge, il y a eu duplicité, il y a eu rupture majeure de confiance » a asséné le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian.
Solidarité de l'UE et renforcement de l’axe franco-allemand
Dans l'Union européenne, les réactions n'ont pas tardé : « Cette crise est un signal d’alarme pour tous dans l’UE », estime le secrétaire d’État allemand aux Affaires européennes Michael Roth. Le haut représentant pour les relations extérieures Josep Borrell a exprimé la solidarité de l’UE envers la France, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU. « Ce n’est pas une affaire bilatérale mais cela affecte l’UE dans sa totalité. »
Face à cette rupture de confiance avec les États-Unis, l’Hexagone se voit dans l'obligation de renforcer sa puissance militaire au sein de l'Europe, notamment par le biais de son partenariat avec l'Allemagne. Paris a en effet entamé d'importantes négociations outre-Rhin autour de programmes industriels d'armement commun. La signature de deux accords pour mettre en place un système de combat terrestre (Main Ground Combat System), pourrait par exemple permettre la création d' un avion de combat et d'un char d'assaut, qui viendraient à terme remplacer les chars Lepoard 2 et Leclerc.
Inde, Japon, Kazakhstan : realpolitik et redéfinition d'alliances opportunes
Par ailleurs, le camouflet australien va très certainement faire évoluer la politique étrangère française et la pousser à s'émanciper du vieux bloc anglo-saxon. La France dispose déjà d’un important réseau d'alliées en Asie. L'occasion pour elle de renforcer des relations bilatérales opportunes via des partenariats commerciaux et géostratégiques avec des pays affectionnant, comme elle, la fameuse troisième voie diplomatique.
La présence indo-pacifique de la France peut, par exemple, se poursuivre à travers un partenariat stratégique privilégier avec l'Inde, puissance régionale de premier plan en Asie du Sud-Est, où Naval Group négocie des contrats. « La France et l’Inde sont attachées à leur autonomie stratégique. Elles ne souhaitent pas être dépendantes des États-Unis », explique Harsh Pant, analyste pour un centre de recherche de New Delhi, au journal Le Figaro. Selon ce dernier, «les conditions sont réunies pour mettre en place une nouvelle coopération». Le Japon aussi fait partie des partenaires clés de la France, comme en témoignent la visite du chef de la diplomatie japonaise Toshimitsu Motegi à Paris il y a un peu moins d'un an, ou encore la rencontre entre Emmanuel Macron et le Premier ministre japonais lors des Jeux olympiques l'été dernier, réaffirmant à l'unisson un « partenariat privilégier » entre les deux pays.
Sans oublier l'un des principaux partenaires de l'Hexagone en Asie centrale : le Kazakhstan. Ce dernier pourrait compter comme un allier régional fort, ayant entrepris certaines réformes démocratiques (comme l'abolition récente de la peine de mort), et cherchant activement à renforcer ses liens avec la France. Si certains élus demandent la fin de ce partenariat, comme le parlementaire du Conseil de l'Europe André Gattolin, d'autres en revanche soulignent l'opportunité diplomatique et commerciale que constitue cette alliance, à l'image du Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères Jean-Baptiste Lemoyne, pour qui le Kazakhstan était encore en 2018 un « pays avec lequel la France entretient une relation privilégiée ». Bref, comme le résume au journal la Croix Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, « ce qui vient de se passer avec l’Australie doit accélérer le processus de diversification de nos partenariats ».
Nécessité d'une autonomie stratégique de l’UE
Si la consolidation d’un axe Londres, Canberra et Washington (l’AUKUS) dans l’Indo-Pacifique oblige la France à redessiner son réseau d’alliées, elle rend également nécessaire le renforcement d’une autonomie stratégique de l’Union européenne. Pour Geoffroy Roux de Bézieux, interrogé par France inter, le constat est sans appel : « les Américains ont décidé que leur avenir était face à la Chine (...) et que l'Europe compte peu ou compte moins. » Pour le président du MEDEF, elle doit pousser l'UE vers « une autre manière de penser nos alliances de défense ». « On ne peut pas assumer d'être vassalisés par l'une ou l'autre puissance. Il faut que l'Europe s'affirme » préconise le chef d'entreprise. Selon ce dernier, la riposte européenne doit venir de la France, seule grande puissance militaire et diplomatique dans l'UE. « On parle beaucoup de défense européenne mais il faut être réaliste (...), la défense européenne aujourd'hui c'est la France, c'est la France qui se bat au Sahel et c'est elle, la première armée d'Europe ».
De là à quitter, un jour, le commandement intégré de l'OTAN, jugé par le président Emmanuel Macron en état de « mort cérébrale » ? Eric Dénécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement, considère cette éventualité possible face à la crise des sous-marins. « On ne peut rien construire s’il n’y a pas de confiance dans une alliance et ce coup de Jarnac l’entame durablement »...
Au premier semestre 2022, la France présidera l’Union européenne et devrait, d’une manière ou d’une autre, donner un nouveau souffle à la défense et à l’autonomie européenne.