Le 4 février 2025, Google a discrètement supprimé l’interdiction explicite d’utiliser son IA à des fins militaires et de surveillance. Cette décision, qui intervient quelques jours après l’investiture de Donald Trump, pose des questions sur le rôle des géants technologiques dans la stratégie de défense des États-Unis et les implications pour l’Europe.
Des armes boostées à l’IA bientôt développées par Google ?
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Google, qui s’était imposé des limites en refusant de contribuer à l’armement et à la surveillance à l'aide de l'IA, vient de modifier sa doctrine. Ce choix, effectué dans un contexte international tendu, ne relève pas d’une simple évolution interne mais d’un repositionnement stratégique en phase avec la politique technologique et sécuritaire américaine.
Un alignement stratégique sur les priorités de Washington
Le revirement de Google en matière d’intelligence artificielle militaire n’est pas un simple ajustement interne. Il reflète une transformation plus large des rapports entre la Silicon Valley et l’État américain. Cette décision s’inscrit dans la continuité de la politique de Donald Trump, fraîchement réinstallé à la Maison-Blanche. L’une de ses premières décisions en janvier 2025 a été l’annulation d’un décret signé sous l’administration Biden, qui imposait une transparence accrue aux entreprises développant des applications militaires d’IA.
Désormais, les acteurs technologiques américains disposent de plus de latitude pour collaborer avec le Pentagone et d’autres agences de défense sans contrainte de divulgation publique. Ce nouveau cadre juridique favorise une intégration accélérée des entreprises du secteur privé dans les efforts de modernisation de l’armée américaine. Google, qui s’était jusqu’alors imposé des barrières éthiques, semble avoir fait le choix du pragmatisme en s’alignant sur ces nouvelles orientations stratégiques.
L’annonce de cette modification de charte ne résulte donc pas uniquement d’un choix économique, mais bien d’une adaptation à un environnement géopolitique marqué par une course à l’armement technologique entre les États-Unis et la Chine.
Une réponse à la montée en puissance de la Chine
L’un des facteurs majeurs de cette décision réside dans la menace stratégique représentée par la Chine en matière d’intelligence artificielle. Pékin investit massivement dans des programmes visant à intégrer l’IA dans ses systèmes de défense, notamment via l’initiative de "fusion militaro-civile", qui mobilise les ressources des entreprises technologiques pour renforcer les capacités de l’Armée populaire de libération.
La Chine a déjà démontré son avance dans plusieurs domaines clés, notamment en matière de reconnaissance faciale, d’analyse prédictive et d’optimisation des chaînes logistiques militaires. Contrairement aux entreprises occidentales, les entreprises chinoises comme Huawei et Baidu sont directement intégrées dans les projets de défense du pays, bénéficiant d’un accès privilégié aux financements publics.
Face à ce constat, Washington ne peut plus se permettre de maintenir une approche trop restrictive vis-à-vis de ses propres champions technologiques. Google suit ainsi une dynamique déjà adoptée par Microsoft et Amazon, qui ont multiplié les contrats de défense ces dernières années. En supprimant ses restrictions, l’entreprise se positionne désormais comme un acteur clé de la défense américaine, à l’image de ses concurrents.
L’Europe face au dilemme de l’IA militaire
Ce réalignement stratégique de Google a des implications directes pour l’Europe, où la question de l’intelligence artificielle militaire reste largement débattue. L’Union européenne, qui a toujours défendu une approche éthique et réglementée de l’IA, se retrouve face à un dilemme. Jusqu’à présent, l’Europe a adopté une position prudente, en mettant l’accent sur la régulation et le respect des droits fondamentaux. Le règlement sur l’IA proposé par la Commission européenne en 2024 encadre strictement l’usage de l’intelligence artificielle dans des domaines sensibles, notamment la surveillance de masse et les systèmes autonomes de ciblage militaire.
Mais face à la militarisation accélérée de l’IA aux États-Unis et en Chine, cette approche pourrait rapidement se heurter aux réalités stratégiques. Certains États membres, notamment la France et l’Allemagne, militent déjà pour une intégration plus poussée de l’IA dans la défense européenne. Le projet SCAF (Système de Combat Aérien du Futur), qui regroupe Airbus, Dassault et plusieurs autres industriels européens, repose en partie sur des algorithmes d’IA avancés pour le traitement des données et la prise de décision en vol.
L’Europe pourrait se retrouver dans une position délicate, entre la nécessité de préserver son autonomie stratégique et l’impératif de ne pas prendre de retard face aux grandes puissances mondiales. Si les États-Unis et la Chine accélèrent leur course à l’IA militaire, l’Union européenne devra trancher rapidement sur la direction à prendre sous peine d’un déclassement technologique et stratégique.
Vers une nouvelle ère de l’intelligence artificielle militaire
Ces changements posent plusieurs questions majeures pour l’avenir de la politique internationale en matière d’IA. L’encadrement de l’usage militaire de l’IA reste incertain, et sans régulation stricte, l’adoption de ces technologies dans les conflits pourrait mener à une autonomisation progressive des systèmes d’armement. L’Europe, qui a misé sur une régulation stricte de l’intelligence artificielle, se trouve désormais face à un choix stratégique. Se pose la question de l’équilibre entre éthique et compétitivité : si Google a longtemps prôné une approche responsable de l’IA, son changement de cap montre que les impératifs stratégiques et économiques finissent toujours par prendre le dessus.
Ce basculement vers une IA militaire assumée montre que les entreprises technologiques ne sont plus de simples fournisseurs de services, mais des acteurs clés des stratégies de défense nationale.