Christophe Castaner est décidément un bien curieux ministre de l’Intérieur. Alors que les conditions de maintien de l’ordre le 1er mai pouvaient lui profiter, il a gâché la fête et son (relatif) triomphe en propageant sans retenue une fake news sur une prétendue attaque contre l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Malheureusement pour lui, la manipulation est vite apparue et lui vaut désormais un sévère retour de bâton. Beaucoup demandent sa démission. Il a d’ores et déjà produit un mea culpa, mais, plus globalement la question des violences policières commence à prendre un vilain tour, qui oblige même le Président de la République à intervenir. Le pouvoir exécutif paraît désormais fragilisé par un recours excessif à la force.
Le 1er Mai a donné lieu (comme on le voit ci-dessus) à un déferlement de violence plus localisé qu’à l’accoutumée, mais d’une intensité rarement atteinte. Les affrontements entre la police et les manifestants ultra ont donné lieu à des échanges très brutaux. Malgré ce contexte compliqué, les dégradations ont été contenues et le ministre de l’Intérieur pouvait raisonnablement s’estimer heureux de n’avoir pas à justifier des dévastations identiques à celles connues dans les semaines précédentes, notamment à la mi-mars.
Castaner face à une situation insoutenable
Certes, la victoire tactique remportée par la police mercredi est une victoire en trompe-l’oeil. Il a fallu 7 500 policiers mobilisés pour contenir la situation. Officiellement, la Préfecture reconnaissait 28 000 manifestants à Paris. Cela fait un policier pour quatre manifestants: un chiffre impressionnant, qui permet de mesurer l’effort à fournir par le ministère de l’Intérieur pour maintenir l’ordre désormais.
Malgré cet impressionnant déploiement de force, on a vu combien il était difficile de garantir la tranquillité publique. Des centaines de manifestants ont utilisé tous les objets à leur disposition, y compris du goudron arraché à la chaussée, pour bombarder les forces de police sur leur passage. Celles-ci ont évidemment riposté avec de puissants tirs de gaz lacrymogène et des charges au corps-à-corps. Dans cet ensemble de bric et de broc, le rapport de force s’est parfois montré indécis, ce qui souligne le caractère redoutable et non durable de la situation.
L’absurde fake news de l’attaque contre la Salpétrière
Ce bilan était au fond mitigé, mais les médias n’en demandaient pas plus pour dire du bien de l’exécutif et pour se rassurer sur le fait que les factieux n’avaient pas pris possession des rues de Paris face à un État impuissant. Alors pourquoi Castaner a-t-il gâché sa victoire (même serrée) en inventant une attaque contre la Salpétrière, qui est en train de se retourner contre lui? Cette stratégie de communication est complètement suicidaire. Elle l’est d’autant plus que plusieurs ministres se sont engouffrés dans la branche, donnant le sentiment que l’impulsivité et l’irréflexion émotionnelle avaient pris le pouvoir et se sentaient capables des pires imprécations sans la moindre vérification.
Dans la pratique, il n’aura fallu que quelques heures pour montrer que cette « attaque » se réduisait à une poignée de manifestants épuisés par les gaz lacrymogènes qui ont cherché à se réfugier à l’hôpital pour trouver un peu d’oxygène. Entretemps, Christophe Castaner avait affirmé:
“Des infirmières ont dû préserver le service de réanimation. Nos forces de l’ordre sont immédiatement intervenues pour sauver le service de réanimation”, a ajouté le ministre devant la presse lors d’une visite à l’hôpital.
La stratégie du clivage se retourne peu à peu contre le gouvernement
Cette faute de communication lui serait pardonnée si elle ne constituait pas le énième épisode d’un long feuilleton où, semaine après semaine, le ministre de l’Intérieur joue le pourrissement et la stigmatisation des Gilets Jaunes. Dans la pratique, alors que beaucoup en France attendent une stratégie de réconciliation de la part du pouvoir, ce dernier cherche plutôt à produire l’effet inverse: aucun mot n’est jamais assez dur pour condamner ceux qui manifestent dans les rues.
Dans le même temps, le gouvernement a légitimé par avance une stratégie dure de la part des forces de police, avec de nombreux appels à la fermeté. Sans surprise, donc, la disproportion entre l’usage de la force et le besoin du maintien de l’ordre a commencé à sauter aux yeux. Des centaines de plaintes sont supposées être traitées par l’IGPN pour élucider des cas de blessures graves.
L’exécutif contraint à manger son chapeau
La dérive a été telle que, désormais, l’exécutif est obligé de manger son chapeau publiquement. Christophe Castaner a officiellement regretté d’avoir parlé d’une « attaque » contre la Pitié. Ce rétropédalage fait mauvais genre de la part d’un ministre dont la principale mission est de garder son sang-froid et de faire preuve de discernement. Emmanuel Macron lui-même est aujourd’hui contraint de faire des promesses sur la violence policière contre la presse. Pour un Président qui donne des leçons régulières sur les Droits de l’Homme et qui dénonce tout aussi régulièrement les démocraties illibérales, cet aveu est terrible. Il reconnaît implicitement que nos policiers sont allés trop loin dans la répression.
On retiendra surtout que, six mois après le début du mouvement des Gilets Jaunes, donné mille fois comme à bout de souffle, les braises sont toujours incandescentes dans le débat public français. Malgré le Grand Débat, malgré les annonces présidentielles, le feu ne demande qu’à repartir. Il est probable qu’Emmanuel Macron en prenne progressivement conscience et que les rétropédalages auxquels on assiste constituent un bon indice d’un aveu de défaite.
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog