Sous l’impulsion du ministère chargé du Numérique, l’exécutif remet sur la table le projet du cloud souverain abandonné il y a peu. L’objectif est de réaffirmer l’autonomie technologique de la France dans un secteur dominé par les multinationales américaines.
Cloud souverain : la France veut sa souveraineté numérique

Le 14 avril 2025, la ministre déléguée au Numérique, Clara Chappaz, a officialisé la relance d’un projet devenu emblématique de la volonté française d’indépendance technologique : celui du cloud souverain. Portée par une série de mesures présentées dans le cadre de France 2030, cette initiative vise à favoriser l’émergence d’une offre nationale ou européenne capable de rivaliser avec les grands acteurs mondiaux du stockage et du traitement de données. Cette démarche s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes autour des questions de souveraineté numérique et de dépendance vis-à-vis des États-Unis.
Un enjeu stratégique assumé par l’exécutif
En relançant le chantier du cloud souverain, le gouvernement marque un tournant clair dans sa stratégie numérique. Loin des compromis précédents, qui avaient abouti à des partenariats avec des acteurs étrangers sous label « cloud de confiance », la nouvelle approche se veut plus structurée et orientée vers la consolidation d’une filière nationale.
Le constat initial est sans équivoque : les services de cloud public sont aujourd’hui largement dominés par les GAFAM. En France, leur part de marché est estimée entre 70 et 90 % selon les secteurs. Pour l’État, cette situation n’est plus soutenable. L’accès, l’intégrité et la sécurité des données sensibles – qu’elles soient économiques, institutionnelles ou personnelles – dépendent en grande partie de technologies et d’opérateurs soumis à une législation extraterritoriale.
L’administration américaine, à travers le CLOUD Act notamment, peut théoriquement accéder aux données gérées par une entreprise de droit américain, peu importe le lieu de stockage. Cette extraterritorialité juridique a considérablement modifié la perception des infrastructures numériques, désormais perçues comme des vecteurs d’influence et des outils de puissance.
Une relance encadrée par l’État et adossée à France 2030
La stratégie présentée par Clara Chappaz repose sur plusieurs instruments. Un appel à projets est lancé pour stimuler la création de solutions alternatives, dotées de standards de sécurité et d’autonomie élevés. Ces projets seront financés dans le cadre du programme France 2030, qui prévoit des investissements ciblés dans les technologies critiques. L’objectif est de favoriser l’émergence d’une offre industrielle nationale ou européenne compétitive, structurée autour d’acteurs engagés à respecter des exigences de transparence, de gouvernance locale et de sécurité des données.
Un Observatoire de la souveraineté numérique a également été créé pour accompagner cette politique. Sa mission : évaluer l’état de dépendance des infrastructures nationales et proposer des pistes de réduction des vulnérabilités. Il s’agit d’un organe de suivi stratégique, rattaché au Conseil général de l’Économie, en coordination avec les autres services de l’État concernés par le numérique.
Enfin, le gouvernement met en place un Comité stratégique de filière dédié aux logiciels et solutions numériques de confiance. Ce comité, à vocation interprofessionnelle, doit permettre un dialogue structuré entre pouvoirs publics, entreprises et centres de recherche afin de coordonner les efforts et d’assurer la montée en gamme de la filière.
Une ambition technique structurée autour du programme PEPR Cloud
Le projet s’appuie aussi sur une composante de recherche avancée. Le PEPR Cloud (Programme et équipements prioritaires de recherche), lancé en 2024, vise à soutenir le développement d’une architecture souveraine complète, capable de couvrir les principaux besoins des administrations, des entreprises et des opérateurs publics. Financé à hauteur de 56 millions d’euros sur sept ans, ce programme est codirigé par l’Inria (Institut national de recherche en informatique) et le CEA (Commissariat à l’énergie atomique).
Concrètement, les travaux porteront sur la conception d’infrastructures adaptées aux besoins stratégiques : une architecture distribuée, capable de garantir la résilience des services ; des outils de gestion et de développement évolutifs et interopérables ; et des mécanismes de sécurité conformes aux normes de cybersécurité les plus exigeantes.
Ce socle technologique vise à proposer une alternative pleinement française, conforme au référentiel SecNumClouddéfini par l’ANSSI, qui reste aujourd’hui la principale condition d’accès aux marchés publics en matière de traitement de données sensibles.
Entre impératifs industriels et équilibre européen
La relance du cloud souverain intervient après plusieurs tentatives avortées, notamment l’échec relatif de l’initiative « cloud de confiance », qui reposait sur des partenariats entre des entreprises françaises et des géants américains. Le modèle alors envisagé, intégrant une supervision nationale mais une technologie étrangère, n’avait pas convaincu pleinement ni les institutions ni le tissu industriel.
Désormais, l’exécutif affirme vouloir changer de cap. Les entreprises identifiées pour porter cette ambition sont principalement françaises ou européennes, comme OVHcloud, Scaleway ou 3DS Outscale. Mais la réussite du projet dépendra d’un certain nombre de conditions : la capacité à fédérer les initiatives, la solidité des modèles économiques proposés, et la réceptivité du marché, notamment des administrations et des grandes entreprises, à ces nouvelles offres.
En toile de fond, la question de l’intégration européenne reste ouverte. Si la France affirme sa volonté de leadership technologique, elle n’écarte pas une convergence avec les initiatives comme GAIA-X, qui visent à poser les bases d’un cloud européen interopérable. Le gouvernement semble désormais privilégier une approche duale : renforcer sa base nationale tout en construisant des alliances sur des fondements juridiques et politiques communs.