Longtemps, notre pays a vécu une centralisation à l’extrême, héritage des Rois de France et d’une Révolution ayant conduit au triomphe d’un fantasme jacobin, qui imaginait une administration centralisée comme garant d’une France homogène et donc une France d’égalité.
Cette représentation d’une France fantasmatique, sous le contrôle absolu d’un Etat unitaire, avait fini par connaître quelques adaptations. Dans les dernières décennies du XXème siècle, on a compris que l’autoritarisme ne menait plus à rien de très efficace, et que toutes les prérogatives de la puissance publique ne pouvaient être exercées par un Etat distant et pataud, sans risquer des retards, des surcoûts, des incompréhensions et des inadaptations aux besoins des populations.
Les aspirations des citoyens en matière de démocratie et de proximité ont impliqué de donner aux élus locaux de véritables pouvoirs de décision. C’était du reste la principale motivation de la décentralisation engagée par la gauche au début des années 1980. Le développement de l’Union Européenne a aidé également, qui remettait en cause le dogme d’un Etat pertinent pour toute action. La mondialisation enfin a forcé à la créativité locale.
Un écosystème stimulant a ainsi émergé, maillant le territoire et l’adaptant à un fonctionnement en réseau qui est le logiciel du siècle naissant. De la grande loi de décentralisation de 1982 à la réforme controversée des Régions en 2015, timidement, s’est esquissée la France des Collectivités locales.
Las. Ce bel élan qui semblait encore vif au début des années 2000 (révision de la constitution en 2003, droit à l’expérimentation, loi relative aux libertés et responsabilités locales en 2004, loi MAPTAM en 2014, loi NOTRé en 2015…) s’est brusquement retrouvé au point mort lors de la dernière campagne présidentielle. Il est vrai que, chahutés par les réformes successives pas toujours inspirées et la réduction des dotations, certains élus locaux ont secrètement souhaité qu’on veuille bien les oublier. Ils n’auraient peut-être pas dû, car finalement les Collectivités ont été tout à fait absentes de la campagne présidentielle et l’Etat donnerait presque aujourd’hui l’impression d’un recul dans son rapport aux territoires.
Bien sûr, nous avons échappé au pire. L’extrême droite, prônant une France de la commune et des Départements, voulait sur ce sujet comme sur d’autres nous ramener plusieurs décennies en arrière. Mais finalement, personne n’a vraiment parlé des territoires lors de cette élection. Personne n’a proposé de feuille de route pour approfondir la subsidiarité, muscler les collectivités locales cependant que l’on ferait maigrir l’Etat.
Ce manque d’inspiration décentralisatrice intervient dans un contexte européen troublé. Les velléités d’indépendance de la Catalogne créent une confusion chez certains commentateurs, qui confondent décentralisation et nationalisme régional, et qui assimileraient bien tout renforcement du pouvoir local à une tentative de déstabilisation des Etats-nations. Alors qu’il n’en est rien.
Aujourd’hui, nous sommes dans le flou. Les Collectivités sont amenées à produire des efforts financiers supplémentaires. C’est nécessaire, car la diminution de l’abyssal déficit français, porteur d’une potentielle crise de dette souveraine et qui hypothèque l’avenir, est une absolue nécessité. C’est légitime, car on sait que les réformes antérieures ont eu leur lot d’effets négatifs, notamment à raison des doublons créés entre les collectivités nouvelles et celles qu’on n’osait pas faire disparaître. Le travail ne manque pas pour optimiser les moyens publics : masse salariale, utilité des investissements, efficacité de la politique associative…
Mais, il ne faudrait pas oublier les efforts déjà fournis par ces même Collectivités. Elles ont absorbé de nombreuses compétences et missions confiées par l’Etat sans que celui-ci ne les compense réellement. Et la qualité de leur gestion est bien supérieure à celle de l’Etat, qui n’a de cesse de s’endetter pour payer son fonctionnement, qui a tant de retard dans la réforme de ces administrations centrales et déconcentrées, qui a rarement tiré les conséquences des étapes antérieures de la décentralisation et qui conserve en son sein de nombreux services en doublons alors que le travail avait été confié aux collectivités. Souhaitons à ce sujet que le comité d’action publique 2022, installé récemment par le Premier ministre, fasse preuve d’une véritable audace.
Si la feuille de route pour les prochaines années se limite à stigmatiser des élus locaux jugés trop nombreux (sur quels critères ?) alors que pour la plupart quasi bénévoles, et à une politique de l’étouffement, entre baisse des dotations et suppression de levier fiscal (ce qu’est en réalité la réforme de la taxe d’habitation), cela sera un peu court.
Les collectivités ont changé. Les Régions acquièrent – sauf quelques dommageables exceptions – une taille critique pertinente. Les missions des Départements se sont fortement réduites, pour l’essentiel au portage de prestations sociales, faisant d’ailleurs redouter à ce dernier échelon une suppression pure et simple, si ces prestations devaient être recentralisées. De grandes intercommunalités ont émergé. La France, qui n’a pas su réduire réellement le nombre de ces 36 000 communes, a inventé une nouvelle modalité d’administration qui rend l’échelon municipal moins autonome, favorisant la coopération autour d’un bassin de vie.
Ces collectivités ont besoin d’être accompagnées. De quelle autonomie fiscale bénéficieront elles, après la suppression de la taxe professionnelle et la vraisemblable disparition à moyen terme de la taxe d’habitation ? Cette même autonomie fiscale qui responsabilise les élus et crée des comptes à rendre à la population sur le coût de leur politique. Quelle réforme du statut de la fonction publique territoriale leur permettra enfin d’agir de manière pro-active sur une masse salariale dont la dimension prend parfois des proportions déraisonnables ?
Comment seront assurés les débats démocratiques dans les grandes intercommunalités ? Au regard des compétences désormais exercées, une désignation des représentants au suffrage universel direct semblerait particulièrement nécessaire. Comment tirer enfin les conséquences des évolutions des dernières années sur le millefeuille territorial ? Par exemple, en faisant des Départements et des municipalités les circonscriptions respectives des Régions et des Intercommunalités, ce que ces collectivités sont du reste devenues dans les faits par contrainte budgétaire qui obère leur autonomie. La France a besoin d’une nouvelle étape pour tirer le meilleur parti de ses territoires. Faisons leur confiance, donnons-leur les outils et encourageons l’Etat à poursuivre surtout sa propre réforme.