Alors que 9,6% des actifs en emploi ont consommé du cannabis dans l’année selon la Midelca, le Code du travail, à l’inverse de l’alcool, ne prévoit pas de disposition sur la consommation de drogues illicites ou stupéfiants dans l’entreprise1.
Consommation de substances illicites en entreprise : un motif de licenciement ?
L’employeur ne peut cependant ignorer la réglementation, notamment du Code de la santé publique (dont l’article L. 3421-1) et posant l’interdiction générale de l’usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants (cocaïne, cannabis et résine de cannabis, etc.), sous peine de sanctions pénales.
Par ailleurs, l’employeur est tenu par une obligation de sécurité2 l’obligeant à mettre en place des mesures de prévention, des actions d’information et de formation ainsi qu’une organisation et des moyens adaptés pour protéger ses salariés des risques pour leur sécurité ou leur santé, tels que ceux causés par la consommation de substances illicites.
Ainsi, le règlement intérieur de l’entreprise3 peut rappeler des règles simples comme l’interdiction de pénétrer ou demeurer dans l’entreprise sous l’emprise de stupéfiants ou l’interdiction d’introduire, de stocker ou de distribuer de telles substances dans les locaux de travail.
Il peut également prévoir le recours à un dépistage salivaire de la toxicomanie. Cette possibilité est limitée aux salariés dont l’état d’emprise sous stupéfiants est, de par la nature de leurs fonctions, susceptible de créer un danger (conduite de véhicules, manipulation de produits ou de matériels dangereux, …) et les salariés doivent être informés de la possibilité de contester le résultat de ce test4.
Enfin, le règlement intérieur fixe la nature et l’échelle des sanctions disciplinaires, dont le licenciement en cas d’infraction sur le lieu de travail.
L’employeur peut donc être amené à mettre fin à la relation de travail de l’un de ses salariés ayant consommé des substances illicites.
Ainsi, la consommation de cannabis sur son lieu de travail par un salarié amené à utiliser dans le cadre de ses fonctions des engins lourds de manutention, mettant en danger tant les biens que les personnes, qu’elles soient tiers à l’entreprise, ou salariées de cette dernière5, caractérise une faute grave justifiant un licenciement à ce titre.
De même, le fait de stocker des stupéfiants sur son lieu de travail et à l’insu de son employeur est constitutif d’une faute grave justifiant un licenciement6.
Il en va de même lorsque le salarié participe à un trafic de stupéfiants sur son lieu de travail. A ainsi été jugé fondé le licenciement pour faute grave d’une veilleuse de nuit qui introduisait, consommait et se livrait à un trafic de stupéfiants sur son lieu de travail, en l’occurrence une résidence de réinsertion sociale, alors qu’elle « se devait au regard de ses fonctions au contact d’un public désinséré et vulnérable de participer à la constitution d’un cadre de vie respectueux des règles »7.
Est plus délicat le « traitement » de la consommation de stupéfiants qui a lieu en dehors du temps et/ou du lieu de travail.
Cette consommation ne peut en principe constituer un motif de licenciement en tant que tel, à moins qu’elle n’ait des répercussions sur le travail.
La jurisprudence admet qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.
Tel a été le cas d’un salarié, appartenant au « personnel critique pour la sécurité » d’une compagnie aérienne, qui avait consommé des drogues dures pendant des escales entre deux vols et, se trouvant sous l’influence de produits stupéfiants pendant l’exercice de ses fonctions, n’avait pas respecté les obligations prévues par son contrat de travail et avait ainsi fait courir un risque aux passagers8.
Ainsi, en cas de contentieux prud’homal sur le traitement de la consommation de stupéfiants au travail, il sera examiné, entre autres, les mesures mises en place dans l’entreprise à ce titre et la nature des fonctions du salarié en cas de mesure disciplinaire notifiée à son encontre du fait de cette consommation.
La jurisprudence peut cependant être, à tout le moins, tatillonne.
A ainsi été jugé non fondé le licenciement d’un Conducteur de bus à qui il était reproché de s’être volontairement soustrait à un contrôle de dépistage de stupéfiant organisé par son employeur dans le cadre de son obligation de sécurité, qui rappelait notamment que « se soustraire à un contrôle réalisé par les forces de l’ordre équivalait à un contrôle positif ainsi que cela ressortait de l’extrait du site Sécurité routière.Gouv et les termes de son règlement intérieur prévoyait expressément que le refus de se soumettre à ces contrôles entraînerait une suspicion et une procédure de mise à pied conservatoire en attente de convocation ». L’employeur faisait également valoir que le salarié avait appris en se présentant sur le lieu du travail qu’un test était organisé, puisqu’il avait eu des échanges avec deux collègues, avant de repartir précipitamment de l’entreprise en prétextant ne pas se sentir bien. Ces éléments n’ont cependant pas été jugés suffisants par les juges du fond pour établir « avec certitude » que le salarié avait quitté délibérément l’entreprise en sachant que les tests de dépistage étaient organisés, afin de s’y soustraire, et le doute devait lui profiter9.
Concernant enfin le cannabidiol (CBD), il s’agit d’une substance présente dans la plante de cannabis (ou chanvre) et pouvant être consommée et vendue sous conditions. Contrairement au cannabis10, cette substance peut ne pas être considérée comme un produit stupéfiant si en particulier sa teneur en tétrahydrocannabinol (THC) est très faible.
Sur ce point, le Conseil d’Etat a annulé un arrêté du 30 décembre 2021 interdisant de vendre des fleurs et feuilles de cannabis ayant un taux de THC inférieur à 0,3%11. Dans l’attente de la publication d’un nouvel arrêté à ce titre, le CBD peut être utilisé soit à des fins thérapeutiques, soit à des fins de bien-être et détente, et peut dans ce dernier cas l’être sous différentes formes (huiles, bonbons, liquide pour e-cigarettes, …).
S l’ensemble de ses effets sur la santé publique n’est pas encore fixé de manière précise, il est toutefois constaté que le CBD peut avoir des conséquences indésirables, dont la somnolence.
De même, les tests de dépistage peuvent ne pas être concluants en fonction notamment de la teneur du THC.
Dans ce contexte, la question de l’utilisation du CBD par des salariés sur leur lieu du travail (ou en télétravail) peut se poser par rapport à l’exécution de leurs missions et en particulier la réalisation de travaux dangereux et / ou la conduite de véhicules et d’engins.
Le règlement intérieur peut alors traiter ce point et des mesures d’information et de formation en lien, entre autres, avec la médecine du travail peuvent être mises en place, à l’instar de ce qui est prévu pour les stupéfiants.
A noter également que dans un arrêt du 21 juin 2023, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que le délit de conduite d'un véhicule en ayant fait usage de stupéfiants (Code de la route, article L. 235-1) était applicable à une personne ayant consommé du CBD12, solution qui peut donc avoir un impact notamment sur les salariés, dont les fonctions impliquent la conduite d’engins.
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La gestion/sanction de substances illicites ou susceptibles de l’être (comme le CBD) en entreprise est donc largement laissée à la charge et l’appréciation de l’employeur, alors que la règlementation en droit du travail est quasi inexistante et la jurisprudence est, pour le moins, casuistique. Pourtant, les conséquences, notamment financières, peuvent être importantes en cas contentieux. Une clarification serait bienvenue.
1 Code du travail, article R. 4228-20.
2 Code du travail, article L. 4121-1.
3 Code du travail, articles L. 1311-2 et suivants.
4 CE, 5 décembre 2016, n°394178.
5 CA Colmar, Chambre 4 A, 7 février 2023, n°21/03031.
6 CA Pau, Chambre sociale, 26 juin 2006, n°05/00490.
7 CA Amiens, 5ème Chambre prud’homale, 19 novembre 2020, n°19/04158.
8 Cass. soc. 27 mars 2012, n°10-19915.
9 CA Paris, Pôle 6 – Chambre 5, 16 février 2023, n°20/08195.
10 Code de la santé publique, articles R. 5132-36 et R. 5132-36-1.
11 CE, 29 décembre 2022, n°444887.
12 Cass. crim. 21 juin 2023, n°22-85530.