Alors que les autorités publiques se sont prononcées contre le projet d’indépendance d’Arkéa, porté par Jean-Pierre Denis, celui-ci redoublerait de pressions en interne. Parallèlement, des députés de la majorité, comme Didier Le Gac, Jean-Charles Larsonneur, Paul Molac ou Liliane Tanguy, se sont prononcés en faveur de l’indépendance vis-à-vis du Crédit Mutuel. Le début d’une nouvelle fronde chez LREM ?
Le feuilleton qui oppose le Crédit Mutuel à Arkéa, sa branche bretonne, s’envenime jour après jour. Le 18 avril 2018, Jean-Pierre Denis, le patron d’Arkéa, a fait voter les administrateurs des caisses locales en faveur de l’indépendance. Une décision obtenue, selon de nombreux témoignages, au forceps et grâce à des pressions exercées en interne, et qui rencontre l’opposition farouche des instances du Crédit Mutuel comme des autorités publiques.
Gouvernement et autorités de contrôle contre l’indépendance
Le gouvernement s’oppose en effet à la création d’un nouveau groupe mutualiste : « Ce différend de nature interne (…) relève (…) des parties concernées, a fait savoir, le 5 février, le ministère de l’Economie. En conséquence, le gouvernement ne souhaite pas modifier la loi existante ». Les trois groupes mutualistes français étant organisés autour d’un organe central défini par la loi, créer un nouveau groupe nécessiterait, en effet, une modification législative.
Pour le gouvernement, c’est donc Niet, d’autant plus que perdre l’usage de la marque Crédit Mutuel impliquerait pour Arkea des « conséquences juridiques, financières, opérationnelles et commerciales » qui restent à définir. De leur côté, les autorités réglementaires, dont la Banque de France et l’Autorité de contrôle prudentiel, se sont prononcées en défaveur du projet. Même scepticisme chez l’agence de notation Standard & Poor’s, qui a annoncé qu’elle dégraderait de deux crans la note d’Arkéa en cas de sécession.
Les méthodes douteuses de Jean-Pierre Denis
Enarque, passé par l’Elysée, Jean-Pierre Denis préside Arkéa depuis 2008. Débouté de la présidence de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM), c’est à partir de cette défaite qu’il aurait nourri des velléités d’indépendance — en dépit de la main tendue par l’actuel président de la CNCM, Nicolas Théry. Depuis, sa gestion d’Arkéa comme ses méthodes que d’aucuns qualifient « d’autocratiques » sont pointées du doigt... tout comme les résultats « soviétiques », non reconnus par la CNCM, issus du vote du 14 avril : 92 % de taux de participation et 94,5 % de votes en faveur de l’indépendance.
Non content d’avoir multiplié sa rémunération par quatre entre 2009 et 2016, année où elle s’est établie à 1,6 millions d’euros — plus de deux fois ce que touche Nicolas Théry —, Jean-Pierre Denis n’hésiterait pas à exercer des pressions sur ses salariés, comme lorsqu’ils ont été lourdement incités à se rendre à la « première manifestation patronale de France » en faveur de l’indépendance d’Arkéa : « ceux qui ne viennent pas n’ont rien à faire dans l’entreprise », se seraient vus glisser certains collaborateurs.
Dans un communiqué datant du 19 mars 2018, la CFDT a ainsi « condamné l’escalade de pressions exercées sur les salariés » : « en persistant dans leur projet (…), les dirigeants (…) d’Arkéa intensifient l’instrumentalisation et la pression exercées sur les salariés ». Parlant de « mascarade » et de « menaces », le syndicat s’interroge sur « les réels objectifs » de Jean-Pierre Denis et sur son obstination « dans un projet de scission qui fait de plus en plus figure de fuite en avant ». « L’heure est grave », conclut le communiqué.
Des frondeurs chez LREM ?
Pas de quoi inquiéter Jean-Pierre Denis, qui se targue de bénéficier du soutien de plusieurs personnalités. Ces dernières ont en effet signé une pétition en ligne en faveur de l’indépendance d’Arkea, et sont donc sommées de cautionner tout ce qui se passe au sein de la branche bretonne du Crédit Mutuel. Parmi elles, on trouve des députés de la majorité LREM : Didier Le Gac, Jean-Charles Larsonneur, Paul Molac ou encore Liliane Tanguy. Certains d’entre eux, comme Didier Le Gac ou Jean-Charles Larsonnneur, ont même écrit un témoignage sur le site Internet hébergeant la pétition.
Autant de parlementaires dont l’engagement en faveur de l’indépendance d’Arkéa étonne. Et pose de nombreuses questions. Ne sont-ils pourtant pas solidaires de la majorité, du gouvernement et d’Emmanuel Macron, qui se sont prononcés contre la création d’un nouveau groupe mutualiste ? Leur soutien au projet de Jean-Pierre Denis signifie-t-il qu’ils cautionnent les pressions et la dérive capitaliste du président d’Arkéa ? Sont-ils réellement au courant des ambitions de Jean-Pierre Denis ou ont-ils, comme d’autres avant eux, été « manipulés » ? Enfin, cette prise de position est-elle révélatrice de dissonances au sein de la majorité présidentielle ? Va-t-on assister, comme sous le précédent gouvernement, à l’émergence de « frondeurs » au sein de la majorité ? Quoi qu’il en soit, le dossier Arkéa n’a pas fini d’électriser le débat.