Culture : essentielle pour 8 jeunes sur 10, mais hors de prix

Une enquête menée auprès des jeunes Français met en lumière les tensions croissantes entre aspirations culturelles et contraintes économiques. Cette situation, largement documentée, interroge la capacité des politiques publiques à garantir l’accès universel à la culture.

Jade Blachier
Par Jade Blachier Publié le 9 avril 2025 à 14h27
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Le 31 mars 2025, l’Observatoire E.Leclerc des Nouvelles Consommations, en collaboration avec l’institut Ipsos, a publié une étude centrée sur la relation des jeunes Français à la culture. Réalisée sur un échantillon représentatif de 1 000 personnes âgées de 13 à 25 ans, cette enquête révèle une contradiction persistante : l’importance accordée à la culture par cette tranche d’âge contraste fortement avec les difficultés concrètes qu’elle rencontre pour y accéder régulièrement. L’analyse des données recueillies, ainsi que leur mise en perspective avec les dispositifs publics existants, soulève des questions structurelles sur l’efficacité des politiques d’inclusion culturelle.

Des attentes élevées envers la culture dans un contexte de contraintes budgétaires

Les jeunes interrogés expriment un attachement fort aux pratiques culturelles. La majorité d’entre eux les considère comme importantes, voire essentielles dans leur quotidien. La diversité des contenus consommés – qu’il s’agisse de musique, de littérature, de spectacles vivants ou de jeux vidéo – atteste de la pluralité des référents culturels mobilisés.

Toutefois, ce rapport à la culture reste largement conditionné par des facteurs socio-économiques. L’enquête révèle que 46 % des jeunes déclarent ne pas être en mesure d’acheter régulièrement des biens culturels. Ce chiffre atteint 57 % dans les zones rurales, où les difficultés d’accès à l’offre culturelle sont plus marquées. Trois freins sont majoritairement identifiés : le coût d’accès, le manque de temps et les problèmes de mobilité.

L’ensemble de ces éléments renforce l’hypothèse d’une précarisation de la consommation culturelle chez les jeunes, déjà mise en évidence par d'autres travaux récents, notamment ceux de l’Ifop et de la Cour des comptes. Dans un contexte d’inflation persistante et de pouvoir d’achat sous pression, la culture devient une variable d’ajustement, malgré une demande qui demeure soutenue.

Inégalités territoriales et différenciation de l’offre

L’étude met également en lumière un clivage territorial important. Les jeunes vivant dans les communes de moins de 20 000 habitants sont plus nombreux à déclarer un déficit d’offre culturelle adaptée à leurs goûts. Ce sentiment d’exclusion est encore plus prégnant dans les villes de taille moyenne, où les infrastructures culturelles peuvent être limitées et l’action publique insuffisamment structurée.

Ce constat interpelle sur la capacité des politiques de décentralisation culturelle à répondre aux attentes des populations jeunes. Alors que l’État a historiquement appuyé la création de réseaux culturels sur l’ensemble du territoire (centres culturels, médiathèques, scènes nationales), leur maillage semble aujourd’hui inégalement distribué, et parfois inadapté aux formes culturelles contemporaines privilégiées par les jeunes.

Dans ce contexte, les grandes surfaces spécialisées apparaissent comme des acteurs de substitution. Plus d’un jeune sur deux déclare y avoir effectué des achats culturels au cours des douze derniers mois, signe d’un repositionnement progressif de la distribution privée comme premier point d’entrée dans l’univers culturel.

Politiques publiques : une réponse partielle face à une demande évolutive

Depuis plusieurs années, différentes initiatives ont été mises en place pour tenter de compenser ces déséquilibres. Le dispositif du Pass Culture, généralisé en 2021 puis élargi aux collégiens et lycéens en 2022, vise à offrir un crédit annuel aux jeunes pour accéder à des offres culturelles variées. Selon la Cour des comptes, 40 % des usages enregistrés en 2024 concernaient l’achat de livres.

D’autres mesures comme la gratuité des musées nationaux pour les moins de 26 ans, instaurée en 2009, ou encore le soutien aux résidences artistiques en milieu scolaire, participent à cette logique de démocratisation. Toutefois, ces dispositifs restent ponctuels et parfois mal connus du public cible.

Le défi réside aujourd’hui dans la capacité des pouvoirs publics à construire une politique culturelle véritablement structurante à l’échelle nationale, intégrant les spécificités locales, les évolutions technologiques, et les nouveaux usages. La forte consommation de contenus via les réseaux sociaux et plateformes de streaming – plébiscités par une majorité de jeunes – illustre l’évolution des pratiques culturelles vers des formats souvent gratuits, mais aussi plus éphémères et moins institutionnalisés.

Vers une redéfinition de l’action culturelle ?

Les résultats de l’enquête soulignent une forme de désalignement entre l’offre culturelle telle qu’elle est pensée par les institutions et les attentes des jeunes. Si ces derniers affirment leur intérêt pour la culture, ils expriment également une demande plus ciblée, interactive, accessible et diversifiée. Les modes de production et de consommation se transforment, obligeant les acteurs publics à repenser leurs priorités.

L’universalité de l’accès à la culture, principe constitutionnel en France, suppose une régulation active des inégalités économiques et géographiques, au-delà des seules incitations ponctuelles.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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