Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national, figure de proue de l’extrême droite française, est décédé à l’âge de 96 ans, ce mardi 7 janvier 2025. Le père de Marine Le Pen est mort le jour des dix ans de commémoration des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher et un jour après l’anniversaire de Jeanne d’Arc (née le 6 janvier 1412), l’une de ses figures historiques favorites. Tout un symbole pour celui que ses partisans surnomment le Menhir.
Jean-Marie Le Pen : le Menhir est mort
La mort de Jean-Marie Le Pen met un point final à l’histoire tumultueuse de celui qui incarna pendant près de cinq décennies l’extrême droite française. Décrit comme un tribun hors pair, un mentor, et même un visionnaire pour la droite de la droite, ou a contrario, comme le plus infréquentable par la gauche, Jean-Marie Le Pen est l'une des rares personnalités politiques françaises à ne laisser personne indifférente.
Une jeunesse marquée par l’engagement
Jean-Marie Le Pen est né le 20 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer, en Bretagne. Fils d’un marin-pêcheur, il perd son père en 1942, victime d’une mine marine. Ce drame familial le marque profondément et contribue à façonner son esprit nationaliste. Pupille de la Nation, il poursuit des études de droit à Paris. Nourri de romantisme et d'idéaux patriotiques, il tente de s’engager dans la Résistance, mais fait face à un refus car jugé trop jeune.
Après ses études, il s’enrôle brièvement dans la Légion étrangère, ce qui le conduit à participer à la guerre d’Indochine. À son retour en France, il rejoint les poujadistes, un mouvement politique soutenu par les commerçants et les artisans. En 1956, à seulement 28 ans, il est élu député de Paris sous l’étiquette de l’Union de défense des commerçants et artisans (UDCA). Ce mandat lui permet de s’affirmer rapidement comme l'une des jeunes figures politiques françaises montantes. Il choisit pourtant une autre voie : militaire, défendant ainsi farouchement l’Algérie française. Il s’engage activement dans le conflit en 1957 en rejoignant les forces armées françaises en Algérie comme officier parachutiste. Une période durant laquelle il sera par la suite accusé d’avoir participé à des actes de torture sur des militants indépendantistes algériens, accusations qu'il justifiera par le contexte politique de l'époque et les ordres hiérarchiques.
Traversée du désert
Fin de la guerre d'Algérie, et suite à son échec électoral en 1962, où il perd son siège de député, Jean-Marie Le Pen traverse une « période du désert ». Durant près de dix ans, il est marginalisé sur la scène politique, faute de soutien et de résultats électoraux probants. Une période qui s’avère néanmoins déterminante pour le futur Menhir, car elle lui permet de se reconstruire financièrement et d'élargir son réseau.
Jean-Marie Le Pen se lance dans une activité inattendue : la production musicale. À la tête de la société de disques Serapis, qu’il fonde en 1963, il produit plusieurs albums. Chansons militaires françaises, étrangères... Ses productions restent destinées à un public militaire et nationaliste.
Fondation du Front national en 1972
En 1972, Jean-Marie Le Pen, accompagné de militants d’extrême droite, fonde le Front National pour l’unité française (FN). Le parti se veut un creuset rassemblant différentes mouvances nationalistes et conservatrices. Dès sa création, Jean-Marie Le Pen axe son discours politique sur des thèmes particuliers : les dangers de l'immigration massive, la lutte contre le communisme, la continuité historique et la souveraineté de la France face à un Parlement européen de plus en plus gourmand (organe créé en 1962 qui remplace l'Assemblée parlementaire européenne).
Pendant ses premières années, le FN reste marginal sur la scène politique : il recueille 0,74 % des voix au premier tour de l'élection présidentielle de 1974. La percée du parti intervient en 1984, après son passage dans l'émission L'Heure de vérité, qui lui permettra de recueillir près de 11 % des suffrages aux élections européennes, quatre mois plus tard. Ce succès est en partie dû à sa médiatisation, orchestrée par François Mitterrand pour affaiblir la droite dite « traditionnelle ».En 1976, il est victime d'une tentative d'assassinat dont les auteurs n'ont jamais été identifiés : une bombe explose son domicile familial parisien. Il hérite ensuite de son ami Hubert Lambert, mort quelques mois auparavant, principal financier du FN.
Second tour de la présidentielle 30 ans plus tard
Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen crée la surprise en se qualifiant pour le second tour de l’élection présidentielle, éliminant le candidat socialiste Lionel Jospin avec 16,86 % des voix, contre 19,88 % pour Jacques Chirac. Véritable séisme politique pour tout le reste de l'échiquier politique, les opposants du Front national se regrouperont tous derrière Jacques Chirac au travers de ce que l'on appelle aujourd'hui l'arc républicain.
Pour le camp national, cet événement reste, quoi qu'on en pense, une victoire symbolique pour Jean-Marie Le Pen, puisqu'il témoigne de sa réussite progressive à imposer certaines de ses thématiques favorites dans le débat public. Mais tout au long de sa carrière politique, cette réussite a été entachée par ses propres déclarations polémiques et provocatrices, qui lui valurent, pour certaines, des condamnations.
L'ère Marine où la fin du père
En 2011, après près de quarante ans à la tête du Front National, Jean-Marie Le Pen cède la présidence du parti à sa fille Marine Le Pen. Ce passage de relais symbolise un changement stratégique majeur. Marine Le Pen met de plus en plus de distance avec son père qui multiplie les déclarations - souvent - volontairement sulfureuses. La nouvelle présidente du parti fait tout pour dédiaboliser l’image du Front National et élargir son électorat, chose qu'elle actera finalement en 2015 en décidant d'exclure son père et en renommant le parti par son nom actuel, le Rassemblement National.
Après son exclusion, Jean-Marie Le Pen entre dans une semi-retraite. En 2018, il publie le premier tome de ses mémoires, Fils de la Nation, dans lequel il revient sur son parcours et ses convictions sans renier ses propos, même les polémiques. Ce livre rencontre un certain succès, notamment auprès de ses anciens partisans. Ses dernières années sont marquées par des problèmes de santé et des hospitalisations régulières, dont une dernière en fin d'année 2024.
Des réactions plus sobres qu'on aurait pu penser...
Comme évoqué précédemment, Jean-Marie Le Pen ne laisse personne indifférent : admiration, dégoût. Les réactions suite à l'annonce de son décès n'ont pas tardé à envahir la toile, et sont, pour la plupart, plus sobres qu'on aurait pu l'imaginer. Le Journal de l'Humanité est très certainement le meilleur exemple de toute l'animosité que pouvait susciter le fondateur du Front National chez ses opposants, ce dernier ayant titré pour l'un de ses (déjà) cinq articles à son sujet : « Mort de Jean-Marie Le Pen : antisémite, tortionnaire et patriarche de l’extrême droite ».
Décès de Jean-Marie Le Pen : mort d’un antisémite, tortionnaire et patriarche de l’extrême droite
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— L'Humanité (@humanite_fr) January 7, 2025
Une tonalité partagée par les plus jeunes figures de l'aile gauche de l'échiquier politique, en témoignent les déclarations sur X de Manon Aubry, eurodéputée (LFI), ou celle de Louis Boyard, députés du même parti :
Jean-Marie Le Pen est mort. Il ne mérite aucun hommage.
Toute sa vie il a craché sur les exilés, les femmes, les personnes musulmanes, juives, LGBT.
Nos pensées doivent aller vers les personnes qu’il a haïes.
Continuons le combat pour que son idéologie le suive dans sa tombe.
— Louis Boyard (@LouisBoyard) January 7, 2025
La déclaration de Jean-Luc Mélenchon fût moins vive :
Le respect de la dignité des morts et du chagrin de leurs proches n'efface pas le droit de juger leurs actes. Ceux de Jean-Marie Le Pen restent insupportables. Le combat contre l'homme est fini. Celui contre la haine, le racisme, l'islamophobie et l'antisémitisme qu'il a…
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) January 7, 2025
À droite, Jordan Bardella, actuel président et eurodéputé du Rassemblement National, dans un message sobre, a tenu à saluer l'engagement politique de Jean-Marie Le Pen et à manifester ses condoléances à sa fille Marine.
Jean-Marie Le Pen est mort.
Engagé sous l’uniforme de l’armée française en Indochine et en Algérie, tribun du peuple à l’Assemblée nationale et au Parlement européen, il a toujours servi la France, défendu son identité et sa souveraineté.
Je pense aujourd’hui avec tristesse à…
— Jordan Bardella (@J_Bardella) January 7, 2025
Éric Zemmour pour sa part, président de Reconquête, estime que « ce que nous retiendrons de lui dans les prochaines décennies, c'est qu'il fut parmi les premiers à alerter la France des menaces existentielles qui la guettaient ».
Jean-Marie Le Pen est mort. Par-delà les polémiques, par-delà les scandales, ce que nous retiendrons de lui dans les prochaines décennies, c'est qu'il fut parmi les premiers à alerter la France des menaces existentielles qui la guettaient. Il restera la vision d'un homme, et son…
— Eric Zemmour (@ZemmourEric) January 7, 2025
L'Élysée, qui craint une nouvelle censure du gouvernement par le Rassemblement National, a, lui aussi, pris soin de signifier en toute sobriété ses condoléances à la famille Le Pen via un communiqué, reconnaissant en Jean-Marie Le Pen « une figure historique de l'extrême droite, il a joué un rôle dans la vie publique de notre pays pendant près de soixante-dix ans, qui relève désormais du jugement de l’Histoire ».
Mort de Jean-Marie Le Pen : "Figure historique de l’extrême-droite, il a joué un rôle dans la vie publique de notre pays pendant près de soixante-dix ans, qui relève désormais du jugement de l’Histoire", déclare l'Elysée dans un communiqué.#DirectAN pic.twitter.com/OLXoNTm5Xm
— LCP (@LCP) January 7, 2025
Le Premier ministre François Bayrou, quant à lui, a surpris par le ton presque amical de sa déclaration : « Au-delà des polémiques qui étaient son arme préférée et des affrontements nécessaires sur le fond, JM Le Pen aura été une figure de la vie politique française. On savait, en le combattant, quel combattant il était. »
Au-delà des polémiques qui étaient son arme préférée et des affrontements nécessaires sur le fond, JM Le Pen aura été une figure de la vie politique française. On savait, en le combattant, quel combattant il était.
— François Bayrou (@bayrou) January 7, 2025