Sébastien Lecornu, ministre des Armées, défend l’objectif d’un budget de la défense à 100 milliards d’euros par an d’ici 2030, comme une nécessité pour garantir la souveraineté du pays face aux nouvelles menaces géopolitiques.
Défense : la France doit-elle suivre l’exemple de l’Allemagne ?

Le 9 mars 2025, dans une interview accordée à La Tribune Dimanche, Sébastien Lecornu a appelé à un réarmement massif de la France. Son ambition : porter le budget de la défense à 100 milliards d’euros par an d’ici 2030, un quasi-doublement par rapport aux 50,5 milliards prévus pour 2025. Cette annonce intervient dans un contexte où la sécurité européenne est fragilisée par la guerre en Ukraine, la montée en puissance militaire de la Chine et le désengagement relatif des États-Unis du Vieux Continent.
Une politique de défense en mutation sous pression géopolitique
La question budgétaire ne peut être analysée sans prendre en compte le contexte stratégique dans lequel s’inscrit cette annonce. La guerre en Ukraine a montré la dépendance des armées européennes aux États-Unis pour le renseignement, la logistique et la fourniture de matériel de haute intensité. La dissuasion nucléaire, longtemps considérée comme l’élément central de la défense française, ne suffit plus à garantir la sécurité nationale face aux menaces hybrides et conventionnelles.
Dans ce cadre, Sébastien Lecornu plaide pour une accélération du réarmement, notamment à travers l’augmentation des stocks de munitions, la modernisation des forces aériennes et navales, et le développement de nouveaux moyens technologiques (cyberdéfense, drones, spatial). En filigrane, le ministre cherche aussi à réorienter la posture militaire française vers un modèle plus robuste, capable de tenir un conflit de longue durée et de répondre aux exigences d’un engagement collectif au sein de l’Europe de la défense.
Le problème de cette trajectoire budgétaire, c’est qu’elle intervient dans un contexte où les finances publiques sont déjà largement contraintes. La dette publique française dépasse les 3 000 milliards d’euros, soit plus de 112 % du PIB. Une hausse aussi massive du budget militaire nécessiterait des arbitrages budgétaires sévères, et potentiellement impopulaires. Si le gouvernement se refuse pour l’instant à évoquer des hausses d’impôts, la question du financement reste entière.
Un choix politique à hauts risques pour l’exécutif
Au-delà des impératifs stratégiques, cette annonce s’inscrit dans une dynamique politique bien précise. Depuis son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron a fait de la souveraineté européenne et de la montée en puissance des capacités militaires françaises l’un des axes majeurs de son mandat. Cette posture vise à renforcer la place de la France au sein de l’Union européenne, notamment en jouant un rôle moteur dans l’autonomie stratégique du continent.
Or, ce choix est aussi un pari politique risqué. D’une part, il s’agit de convaincre l’opinion publique que cet effort budgétaire est justifié. Selon les derniers sondages, les Français restent attachés à une armée forte, mais peu enclins à voir les dépenses militaires exploser si cela implique des restrictions sur d’autres budgets essentiels, comme la santé ou l’éducation. D’autre part, cette trajectoire devra être validée par un Parlement où les équilibres politiques sont précaires. Si la majorité présidentielle est acquise à cette idée, l’opposition, de gauche comme de droite, ne manque pas d’arguments pour critiquer ce projet.
Les forces de gauche dénoncent un déséquilibre budgétaire qui se ferait au détriment des services publics, tandis que certaines voix à droite estiment que la hausse prévue du budget est insuffisante face aux défis de sécurité actuels. En parallèle, les tensions internes à l’Union européenne sur le financement de la défense compliquent la position française. Tandis que l’Allemagne et d’autres pays réorientent leur stratégie militaire sous l’égide de l’OTAN, Paris pousse pour une défense européenne plus indépendante, ce qui nécessite des investissements massifs dont la faisabilité reste incertaine.
L'Allemagne, qui a longtemps limité ses dépenses militaires, a récemment annoncé un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour moderniser sa Bundeswehr, tout en restant alignée sur les priorités stratégiques de Washington. Contrairement à la France, qui mise sur une autonomie stratégique et sa force de dissuasion nucléaire, Berlin privilégie une montée en puissance rapide de ses forces conventionnelles sous le commandement intégré de l’Alliance atlantique.
100 milliards d’euros : une ambition réaliste ?
Le gouvernement justifie cette hausse budgétaire par une série d’impératifs stratégiques. D’une part, la nécessité de moderniser les équipements et de renforcer les capacités de projection, avec une augmentation des stocks de munitions et l’accélération des programmes de défense aérienne et navale. D’autre part, la volonté de rattraper un retard technologique dans les domaines émergents comme le cyber, le spatial et la guerre électronique.
Toutefois, plusieurs experts soulignent que cette montée en puissance risque d’être inefficace si elle ne s’accompagne pas d’une transformation en profondeur du modèle organisationnel des armées. Aujourd’hui, le budget de la défense souffre encore de lourdeurs administratives et de dysfonctionnements dans l’attribution des marchés publics. Augmenter les moyens ne suffira pas si les procédures d’acquisition restent lentes et complexes.