Défense : la Suisse préférerait l’Europe aux Etats-Unis

Un important sondage publié début avril 2025 vient raviver les tensions autour de l’acquisition par la Suisse de 36 avions de combat F-35A fabriqués par Lockheed Martin. Malgré un contrat conclu en 2021 et confirmé par le Parlement, une majorité nette de la population exprime aujourd’hui son opposition à ce choix stratégique. L’écart entre volonté politique et opinion publique questionne la légitimité du processus décisionnel dans un domaine aussi structurant que la défense nationale.

Jade Blachier
Par Jade Blachier Publié le 14 avril 2025 à 14h38
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Les 31 mars et 1er avril 2025, un sondage réalisé par le groupe Tamedia auprès de plus de 35 000 personnes a mis en évidence une rupture significative entre les orientations gouvernementales en matière de défense et les préférences de la population suisse. Deux tiers des citoyens interrogés se disent désormais opposés à l’achat des avions de chasse américains F-35. Cette opposition ne relève pas d’un désintérêt pour les enjeux sécuritaires, bien au contraire. Elle révèle des attentes précises en matière d’autonomie stratégique, de positionnement géopolitique et de souveraineté budgétaire. Dans un contexte marqué par la volatilité des relations transatlantiques, la question de la pertinence de ce contrat ressurgit avec acuité.

Une majorité populaire défavorable au F-35 en Suisse

Selon les résultats du sondage Tamedia, 66 % des personnes interrogées désapprouvent l’acquisition des F-35 américains. Ce rejet s’exprime de manière homogène dans toutes les régions linguistiques du pays, bien qu’il soit légèrement plus marqué en Suisse romande (où seuls 17 % des sondés se disent favorables) qu’en Suisse alémanique (35 % d’avis favorables).

L'opposition ne suit pas non plus une ligne partisane rigide. Si les sympathisants de l’Union démocratique du centre (UDC) ou du Parti libéral-radical (PLR) restent les plus favorables au contrat – avec des taux d’adhésion respectifs de 44 % et 40 % – ces pourcentages ne constituent pas des majorités au sein de leurs électorats. Chez les Verts et les socialistes, la réticence est encore plus affirmée, ne dépassant pas les 12 % d’opinions favorables.

Ces résultats remettent en lumière le référendum de 2021, où l’achat d’un nouvel avion de combat avait été approuvé de justesse par la population (50,1 %), sans qu’aucune mention explicite ne soit faite du F-35. Depuis, le choix du gouvernement d’opter pour le modèle américain n’a cessé de susciter des réserves, y compris dans certains milieux parlementaires, en particulier à gauche et au centre.

Préférences européennes et souveraineté technologique

L’une des principales critiques adressées au choix du F-35 concerne la dépendance technologique vis-à-vis des États-Unis. Une part importante de la population souhaiterait voir la Suisse s’orienter davantage vers des fournisseurs européens. Le sondage révèle qu’environ 82 % des personnes interrogées expriment une préférence pour du matériel militaire issu de l’Union européenne.

Ce positionnement semble motivé par plusieurs considérations. D’abord, l’idée d’une coopération industrielle plus étroite avec les pays voisins est perçue comme plus cohérente avec les principes de neutralité active défendus de longue date par la Suisse. Ensuite, des préoccupations relatives à la transparence, au coût d’entretien sur le long terme et à l’autonomie d’utilisation du F-35 sont fréquemment mentionnées par les opposants au programme. Enfin, la complexité logistique et les délais de livraison imposés par Lockheed Martin renforcent les interrogations sur la robustesse du choix opéré.

Un repositionnement géopolitique en faveur de l’Europe

En parallèle de ce rejet ciblé du F-35, les réponses au sondage indiquent une volonté plus large de reconfiguration des alliances sécuritaires. Près de 77 % des sondés souhaitent renforcer la coopération avec l’Union européenne en matière de sécurité et de défense. L’OTAN, bien que traditionnellement perçue avec prudence dans la Confédération, bénéficie également d’un certain soutien : 71 % des personnes interrogées sont favorables à une coopération étroite avec l’organisation. Cependant, seuls 37 % d’entre elles approuvent une éventuelle adhésion, ce qui souligne le maintien d’une préférence pour une posture extérieure indépendante, mais interopérable.

Ce repositionnement vers l’Europe s’explique aussi par une évolution du contexte international. La décision du président américain Donald Trump, annoncée le 2 avril 2025, d’instaurer de nouveaux droits de douane sur les produits suisses, a ravivé les critiques envers les relations économiques asymétriques avec les États-Unis. Plusieurs personnalités politiques ont évoqué le risque de fragilité stratégique inhérent à une dépendance excessive vis-à-vis d’un partenaire dont les décisions peuvent évoluer brutalement selon le contexte intérieur.

Un soutien croissant à la hausse du budget militaire

Il serait erroné de voir dans cette opposition au F-35 un désintérêt pour la question de la sécurité nationale. Le même sondage montre en effet que 42 % des citoyens souhaitent une augmentation du budget de l’armée, au-delà des plafonds actuellement envisagés par le Parlement. En revanche, les modalités de financement de cet effort font l’objet de divergences.

Une majorité des personnes interrogées estime que les fonds supplémentaires devraient être obtenus par redéploiement budgétaire. En tête des postes évoqués : les dépenses liées à l’asile, à la coopération au développement et à la culture. Ces réponses traduisent une demande de recentrage sur les fonctions régaliennes, dans un contexte de perception accrue des menaces extérieures.

Un leadership américain de plus en plus contesté

Le choix du F-35 souffre également du contexte politique américain. Le retour au pouvoir de Donald Trump, perçu comme imprévisible et peu fiable par une large partie de l’opinion publique suisse, fragilise la légitimité de tout partenariat structurant avec les États-Unis. Un sondage parallèle mené par Tamedia/20 Minutes révèle que 81 % des Suisses ont une image négative de Donald Trump et 90 % rejettent ses orientations économiques, sociales et environnementales. Ces données éclairent le scepticisme croissant envers une coopération étroite avec Washington, même dans le domaine militaire.

Ce rejet ne se limite pas à la figure de Trump. Il exprime une inquiétude plus large quant à la stabilité des engagements pris par les partenaires américains, notamment en matière de transfert de technologies et de maintien en condition opérationnelle des équipements livrés.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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