Pauvres élus de terrain ! Les élections départementales, nouvelle version, devaient être l’occasion pour les candidats de prendre position sur des thèmes concrets de proximité. A celui-ci, l’absolue nécessité de construire une nouvelle route afin de délocaliser son territoire ; à celle-là, la rénovation sans plus tarder du collège du quartier…
Las, les états-majors politiques du Front national jusqu’au Front de gauche en ont voulu autrement. En nationalisant la campagne ainsi que la lecture de ces résultats, les élus de terrain ont dû se sentir bien seuls au fin fond de leur territoire, de leur province, pourrait-on dire, au sens romain du terme, à savoir territoire soumis à l'administration d'un magistrat romain. Aujourd’hui la soumission n’est plus romaine bien évidemment, mais parisienne. Comme si le scrutin départemental semblait pouvoir être qualifié de jacobin. Et ce, alors que le statut de l’élu, qui renforce ses droits et protection, a enfin été définitivement adopté par le Parlement.
L’intérêt du Front national
On comprend bien tout l’intérêt du Front national de nationaliser le scrutin. La plupart de ces candidats n’avaient pas ou peu d’ancrage local. Beaucoup d’entre elles/eux étaient inconnus sur les territoires sur lesquels elles/ils se présentaient. Le jeu donc de ce parti était d’amener l’ensemble des autres partis sur ce terrain. Coup de maître réussi au premier tour. Au second, les scores de ce parti furent élevés mais par manque d’ancrage territorial, la plupart de ses candidats se sont fait battre. De la rue de Solférino à la rue de Vaugirard, tous ont suivi le Front national sur cet axe national. Finalement le Front national, loin d’être positionné à l’extrême s’est retrouvé au centre. Au centre des débats, au centre des doctrines, entre le « Ni-Ni » prôné officiellement par l’UMP et le front républicain orchestré par un Parti socialiste aux abois. Dans ces querelles partisanes nationales, en vue de 2017, les candidats de ces élections départementales n’étaient en fait que des faire-valoir. C’est d’ailleurs pour cette raison que le taux d’abstention a été aussi élevé (1 électeur sur 2 ne s’est pas déplacé). Finalement à quoi bon se rendre aux urnes si le résultat du canton est amalgamé dans les analyses comme un élément du rapport de forces entre gauche et droite au niveau national ?
La débâcle de l’engagement
Cette logique de parti est dévastatrice pour la démocratie locale. On sait le manque de candidature de plus en plus important pour des scrutins de proximité. Pire des élus démissionnent après seulement quelques années voire quelques mois de mandat. La pression sur les édiles est poussée à son paroxysme. Le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) constate que « les contraintes croissantes liées à l'exercice des mandats locaux ont fortement fragilisé l’exercice de la démocratie locale (fortes attentes du public, réglementation complexe et instable, judiciarisation de la société, risque de paupérisation de la fonction d’élu, risque de professionnalisation du mandat, …) ». Ce constat entraîne, l’étude parue en octobre 2015 sous la direction de l’institut Diderot le montre, un vieillissement des élus et inlassablement une reproduction sociale de l’élu. On peut même parler d’une caste émanant de la sphère fonctionnaire qui peut presque seule se présenter. La proposition de loi n°2015-366 adoptée par le Parlement le 1er avril 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat est une réponse à cette lacune démocratique.
Valls en Roberspierre
Alors pourquoi l’exécutif a-t-il choisi de nationaliser ce scrutin, si l’intérêt électoral était sur le terrain à son désavantage ? La raison en est tout simplement que dans son esprit, ces élections départementales étaient déjà derrière lui. Perdues pour perdues, le chef du gouvernement a choisi de se positionner comme le rempart à la propagation du Front national. Tout comme les jacobins et leur porte-parole, Robespierre, se sont présentés comme les défenseurs de la Révolution, Valls se pose en défenseur de la République et de ses valeurs. Cette stratégie a semblé porter ses fruits lors du premier tour, en faisant grimper les scores frontistes. Le but étant double : premièrement apparaître comme étant la seule alternative au Fn, face à la stratégie du « Ni Ni » sarkoziste. Deuxièmement, essayer de faire éclater le parti de l’Ump sur sa stratégie vis-à-vis de ce parti d’extrême droite. En d’autres termes, la stratégie du chef de gouvernement a été de tenter un schisme identitaire au sein de l’Ump, entre les deux tendances proposées de manière contradictoire par Kosciusko-Morizet d’un côté et de l’autre par Wauquiez.
Les Français plus intéressés par leur département que par la lecture nationale
Or, les Français, d’après un sondage Opinion Way réalisé le 29 mars, indiquent qu’à 57%, elles/ils ont exprimé par leur vote, un jugement sur la manière dont est géré leur département. Seuls 42% ont émis un vote qui ne tenait pas compte de cette question. Les états-majors politiques ont donc bien essayé de confisquer ce scrutin à leur seule fin : la bataille de 2017. Comme si en quelque sorte, la présidence des départements importait guère. Non seulement, les Français avaient à se prononcer sur une réforme territoriale qui n’a toujours pas été définitivement adoptée par le Parlement ! Mais en plus, le résultat de leurs votes alimente plus le prochain combat des chefs que la mise en place de la gouvernance territoriale.