Annoncées comme une réponse ferme aux mesures protectionnistes américaines, les nouvelles sanctions commerciales menées par la commission européenne n’entreront pas en vigueur comme prévu début avril.
Droits de douane : la Commission européenne commence à reculer face à Trump

Le 20 mars 2025, la Commission européenne a officialisé un report de deux semaines dans la mise en œuvre des droits de douane envisagés contre certains produits américains. Cette décision s’inscrit dans la continuité d’un contentieux commercial récurrent avec les États-Unis, ravivé par la prolongation des taxes sur l’acier et l’aluminium imposées sous le mandat de Donald Trump.
Une réponse européenne suspendue, mais non abandonnée
Le différend commercial opposant Bruxelles à Washington remonte à 2018, année où les États-Unis ont invoqué des considérations de sécurité nationale pour imposer unilatéralement des droits de douane de 25 % sur l’acier et 10 % sur l’aluminium, y compris à leurs alliés stratégiques. L’Union européenne avait alors activé des mesures de rétorsion ciblées, dans le cadre des règles prévues par l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une suspension convenue en 2021 dans le sillage d’une tentative de normalisation avait été prolongée, mais sans déboucher sur un accord définitif. La prolongation unilatérale des taxes américaines début 2025 a donc conduit la Commission à réactiver les mécanismes de riposte.
Les mesures annoncées par la Commission le 12 mars consistaient en deux volets distincts : la réactivation des contre-mesures précédemment suspendues, et l’introduction d’une nouvelle série de sanctions tarifaires visant des produits spécifiques. L’entrée en vigueur était programmée pour le 1er avril, avec une deuxième salve attendue au 13 avril. Le report annoncé ce 20 mars ne remet pas en cause le fond de la stratégie européenne, mais en modifie le tempo. Selon le porte-parole de la Commission pour le commerce, cette modification vise à « aligner les calendriers » des deux volets, afin de permettre une consultation simultanée des États membres et de créer une fenêtre pour d’éventuelles discussions bilatérales avec l’administration américaine.
Un ajustement dicté par des considérations politiques internes
Au-delà des explications formelles, le décalage des mesures répond à des tensions politiques réelles au sein du Conseil. Plusieurs capitales, dont Paris, Madrid et Rome, ont fait part de leur réticence à une confrontation commerciale directe, en particulier dans un contexte de menaces explicites de rétorsion américaine sur des secteurs sensibles comme le vin, les spiritueux ou les produits agroalimentaires transformés. Les gouvernements concernés redoutent que leurs intérêts nationaux ne soient pris en otage d’un conflit commercial élargi, dans lequel certains secteurs européens seraient plus exposés que d’autres.
Ce rééquilibrage du calendrier permet donc à la Commission de ménager les différentes sensibilités nationales tout en préservant l’unité politique indispensable à la cohérence de sa réponse. Il permet également d’ouvrir une séquence de négociation potentielle avec Washington, même si aucune avancée diplomatique concrète n’a pour l’heure été enregistrée. En l’état, le signal envoyé est double : Bruxelles entend préserver sa crédibilité en ne renonçant pas aux mesures annoncées, tout en assumant une posture pragmatique destinée à éviter une spirale d’escalade tarifaire.
La doctrine géoéconomique de l’UE mise à l’épreuve
À Bruxelles, on insiste sur la nécessité de calibrer la réponse aux États-Unis de manière à préserver les intérêts des producteurs et des exportateurs européens sans alimenter un climat de représailles généralisées. L’UE cherche à maintenir un cap fondé sur la réciprocité et la proportionnalité, dans une logique de résilience économique. Ce positionnement est d’autant plus important que le contexte commercial mondial est désormais dominé par des logiques de "sécurisation" stratégique des flux, comme en témoignent les politiques américaines en matière d’investissements, de semi-conducteurs ou de matières premières critiques.
En ce sens, la séquence actuelle constitue une mise à l’épreuve de la capacité de l’Union à imposer une ligne stratégique autonome dans un environnement dominé par les politiques de puissance.
Une articulation délicate entre solidarité interne et position de force
L’exécutif européen se retrouve au croisement d’enjeux institutionnels et politiques. D’une part, il doit éviter une fracture entre les États membres dont les secteurs d’exportation sont les plus exposés à d’éventuelles représailles américaines. D’autre part, il doit préserver sa crédibilité en tant qu’acteur capable de répondre fermement à des mesures commerciales jugées unilatérales et contraires aux engagements internationaux.
Le choix de synchroniser les phases de mise en œuvre des contre-mesures permet à la Commission de disposer d’un levier de coordination plus efficace avec les États membres, tout en projetant une image d’unité dans sa posture face à Washington. Toutefois, cette stratégie suppose que les États membres convergent sur le contenu de la liste des produits ciblés, et sur l’opportunité de maintenir ou d’ajuster certaines lignes sensibles.