Romain GARY avait raison. Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Tandis que le nationalisme, c’est la haine des autres. C’est ce qu’il faut retenir de la polémique de ce week-end de Nouvel An à propos du drapeau européen flottant sous l’Arc de Triomphe. Installé le 31 décembre 2021, il symbolisait l’ouverture de la Présidence française du Conseil de l’Union Européenne.
Mais une partie de la classe politique a voulu gâcher la fête, se déchirant autour de ce qu’elle considère comme un vulgaire morceau de tissu. « Emblème confessionnel » pour les uns, « attentat, outrage, indignation, honte » pour les autres. Tous les prétextes ont été bons pour dénoncer « l’effacement de l’identité française ». Des cris d’orfraie aberrants car il n’est nullement question de tout cela.
Le drapeau européen, adopté dès 1955, est la synthèse des idéaux d’unité, de solidarité et d’harmonie entre les peuples d’Europe. Il appartenait, il est vrai, au Conseil de l’Europe avant d’être l’étendard d’un vaste territoire qu’est aujourd’hui l’union des 27 pays. « Unis dans la diversité » est sa devise. L’ode à la joie est son hymne. Il n’y a pas de quoi se draper d’un nationalisme outragé pour si peu. A plus forte raison si nous analysons l’historique de notre drapeau tricolore. Né sous la Révolution Française, il est la réunion des couleurs du Roi (blanc) et de la Ville de Paris (bleu et rouge). Pour autant, son ancrage à la République n’a pas été un long fleuve tranquille. Le tricolore, d’abord cocarde, fut donné par La Fayette à Louis XVI, trois jours après la prise de la Bastille.
Décrété pavillon national, il perdit son rouge et son bleu lors du retour de la Monarchie, de 1814 à 1830. Il revint à Louis Philippe, roi citoyen, de le rétablir, proclamant que « la nation reprenait ses couleurs ». Les insurgés de février 1848 voulurent un drapeau entièrement rouge ; ce que le poète Lamartine évita de belle manière, en refusant de l’associer aux couleurs d’un parti.
En résumé, sa genèse a été suffisamment mouvementée. Il n’est pas nécessaire d’en rajouter. En effet, les pourfendeurs du drapeau européen poursuivent une logique ridicule en réclamant celui de notre pays. Avec la même arrogance, la province pourrait aussi en vouloir à la Ville de Paris d’avoir constitué le drapeau français. De même que les Républicains pourraient réclamer la suppression du blanc monarchique.
Plus sérieusement, ces premiers jours de 2022 ne se résument qu’à un patriotisme chauvin et étroit face aux 26 pays membres qui nous regardent. Quelle image ! Un folklore de mauvais goût, à l’instar des nostalgiques qui se désolent de voir parfois, il est vrai, la langue de Molière maltraitée par l’intrusion de l’anglais. Tout ceci en ignorant bien-sûr que le Français se fonde sur le langage des Aquitains, des Ibères, des Gaulois. Que plus de 50% des 1000 mots les plus fréquemment utilisés ont des racines latines. Ou bien que d’autres sont le fruit d’invasions par les Wisigoths, les Burgondes. J’allais oublier les emprunts à l’Arabe, à l’Espagnol et au Grec.
Les signes et symboles de la France et de l’Europe n’ont pas autant de fixité idéologique que leurs défenseurs veulent nous l’imposer. Au final, si l’on peut concéder qu’un pavoisement français et européen aurait pu satisfaire tout le monde, la genèse tout autant que les mouvements identificatoires révèlent en fait que ces beaux tissus ne sont autres qu’un bel habit d’Arlequin. A savoir, un ensemble dont chacun pourra discuter de la composition disparate des parties, sans pour autant en rejeter la globalité.
N’est-ce-pas là une ressemblance avec notre Union Européenne qui se cherche un avenir ? On se prend à rêver qu’à l’image du personnage protéiforme italien, elle épouse son authentique vocation. C'est-à-dire refuser sa fonction dramatique dont on l’accable à longueur de journées pour devenir une institution sensible aux inégalités et capable de la plus noble des humanités. Je suis sûr que le soldat inconnu serait d’accord !