Édouard Philippe peut se targuer d’avoir globalement réussi sa prestation télévisée. Pour tous ceux qui doutaient de son épaisseur, les instants passés avec lui ont constitué une agréable surprise. Au fond, ce Premier Ministre a l’élégance d’un lévrier afghan: il est grand, il est fin, il a une douceur gracieuse. Reste à savoir s’il a une vision politique.
Oui! Édouard Philippe existe vraiment! oui, il peut soutenir un débat avec Mélenchon, et il peut même circonvenir cet adversaire redoutable à force de courtoisie et d’urbanité.
Pour beaucoup de Français qui ont frénétiquement tapé sur Google « qui est Édouard Philippe? » en découvrant l’émission, le spectacle aura réservé une heureuse surprise. Par les temps qui courent, ce genre de plaisir n’est pas à bouder. Et c’est vrai qu’il est plutôt agréable à regarder et à suivre notre Premier Ministre. Il a un côté gendre idéal, avec des mots tout droit sortis des armoires juppéistes, des beaux quartiers, des dîners en ville. Il a l’élégance du geste, de l’expression. Il est urbain, comme on disait dans l’ancien monde. Il ne dit pas aux gens qu’ils sont fainéants quand ils ne pensent pas comme lui. Il ne veut pas les blesser, et quand les petites gens lui parlent de leurs problèmes de petites gens, il prend un air absorbé et les écoute avec pénétration.
Mieux même: quand les journalistes ou les adversaires le poussent dans ses retranchements, il donne le sentiment de défendre son bout de gras et de croire réellement à ce qu’il a dit. Quand l’un ou l’autre lui fait remarquer qu’il n’a pas vraiment répondu aux questions, il s’obstine et il dit que si avec une telle conviction qu’on a envie de le croire.
De ce point de vue, donc, on ressort de l’Émission Politique avec l’impression d’avoir découvert un homme, d’avoir levé un voile et c’est bien.
Au-delà de la technique, y a-t-il un pilote dans l’avion?
Reste que, si le personnage existe, on se demande quand même, au bout d’un moment, si son élégance ne nuit pas à son épaisseur. C’est un lévrier afghan: on ne doute pas qu’il puisse courir vite, mais on n’est pas bien sûr qu’il puisse tenir longtemps, surtout en cas de tabac.
Par exemple, sur la suppression de fait de l’ISF, et sur la polémique de l’intégration des yachts et des lingots d’or dans l’assiette du nouvel impôt, Édouard Philippe donne le sentiment de réciter une petite fiche de Sciences-Po, qu’il va chercher dans sa mémoire, pour expliquer pourquoi c’est comme ça. Mais à la question sous-jacente du: « est-ce juste? », le Premier Ministre n’apporte pas un mot. Savoir pourquoi le nouvel ISF ne portera pas sur les lingots d’or est pourtant une question qui intéresse les Français, et les laisser sans explication morale sur la volonté politique du gouvernement dans ce dossier est une sacrée faiblesse.
On en ressort avec le sentiment que le Premier Ministre est là pour nous expliquer pourquoi c’est comme ça, et certainement pas pour nous convaincre pourquoi ce choix et pas un autre. Chaque fois qu’il est interrogé sur ses convictions morales, sur sa vision politique, sur sa cortication idéologique, en quelque sorte, le Premier Ministre se dérobe. Et c’est gênant, car on en ressort avec la conviction troublante que la politesse des beaux quartiers tient ici lieu de pensée et de motivation à agir.
Il n’est pas sûr que les Français se satisfassent encore de cette superficialité.
De la difficulté d’agir
Interrogé sur le logiciel Louvois et sur ses conséquences désastreuses dans la vie de nos soldats, Édouard Philippe a montré une autre faiblesse directement dérivée de son élégance. Notre Premier Ministre est à l’aise dans les concepts, dans les chiffres, dans les notes techniques. Mais quand une femme de soldat lui demande ce qu’il compte faire concrètement pour améliorer la vie des soldats, on sent que le sol se dérobe sous ses pieds.
Dans ces moments, le Premier Ministre se réfugie dans un retour aux petites fiches et aux promesses globales. Le ministère des Armées a dépensé plus de 500 millions pour un logiciel de paie qui ne fonctionne pas? Oui, mais on augmente le budget, alors tout se réglera. Mais la femme du soldat, elle veut savoir quel engagement personnel le Premier Ministre prend pour régler son problème concret. Et là… on sent que notre lévrier afghan est dépassé par cet appel à agir concrètement.
On en restera avec cette question lancinante: au-delà de ses lectures et ses petites fiches, Édouard Philippe a-t-il l’épaisseur humaine pour comprendre les attentes des petites gens? Poser la question, c’est déjà comprendre que l’exécutif n’est pas prêt d’échapper à son image de gouvernement pour les riches.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog