Les électeurs ne votent pas comme le souhaiteraient nos édiles. Quel drame ! Dans les faits, jamais le décrochage des opinions vis-à-vis des élites n’a été aussi flagrant.
Les électeurs ne votent pas comme le souhaiteraient les élites
Ce qui s’exprime de façon explicite suite au Brexit, voire excentrique pour les Etats-Unis avec l’élection fulgurante de Donald Trump, s’applique désormais pour les pays européens, et particulièrement pour la France, dans la perspective des prochaines consultations de 2017. La crise de confiance est profonde, beaucoup plus que nous ne pouvons l’admettre dans les cercles encore lucides. Elle n’est absolument pas surprenante sur le fond. Cette crise génère pour le moment séisme politique sur séisme politique, en déjouant « l’arrogance des avis éclairés des chroniqueurs et sondeurs, tout en révélant une colère froide des peuples vis-à-vis du système…». C’est la version désormais reprise après chaque verdict, avec le même aplomb, par ceux là même qui avaient affirmés l’inverse la veille…. Il faut bien expliquer pourquoi les électeurs ne sont pas allés dans la direction que nos experts et communicants avaient assénés sur les ondes.
Mais ne nous leurrons pas, ces quelques réveils forcément « populistes », pour ceux qui méprisent les peuples, comme pour ceux qui cherchent à masquer leurs échecs, cachent en réalité un profond désarroi au sein des populations. Les marges de manœuvre pour sortir des impasses sociétales dans lesquelles nous sommes enfermés sont en réalité très étroites. Les électeurs le savent. Certes, ils sanctionnent les errements politiques au travers de votes compulsifs, mais en réalité ils sont résignés et peu enclins à faire la révolution. Ils ne sont pas forcément atones. Il suffit d’aller sur les réseaux sociaux et de suivre la mobilisation des collectifs. Ils sont justes profondément désabusés face aux dévoiements de nos démocraties par tous ces jeux d’oligarques qui sévissent sous toutes les latitudes. Ils sont résignés car ils savent qu’ils sont piégés financièrement par le déclassement généré par la pression fiscale, et démocratiquement par la tyrannie du jeu des partis. L’évolution des courbes de l’abstentionnisme depuis 15 ans dans la plupart des pays occidentaux est une bonne illustration de ces niveaux de décrochage des opinions partout en Occident.
On ne monnaye plus la paix sociale
Il faut avouer que la plupart des rendez-vous électoraux sont devenus des affrontements médiocres de mercenaires sponsorisés par des circuits essentiellement financiers….C’est un peu partout l’argent contre l’argent… Il n’est plus question de projets collectifs et d’avenir, juste de taux de croissance tristounets et de courbes de chômage mortifères que l’on instrumentalise et réassure avec des planches à billet devenues folles….Les rares politiques qui osent ouvrir le questionnement sur ces sujets sont immédiatement ridiculisés et marginalisés par tous les lobbies et réseaux qui vivent impunément de ces spéculations sous toutes les latitudes. Où est la démocratie lorsque ce ne sont que des jeux minoritaires, avec en arrière plan des machineries électorales perverses, qui prennent en otage, voire spolient nos pays ? Nous n’avons plus que le choix entre la peste et le choléra. De fait, compte-tenu de l’état de nos dettes abyssales et du niveau de fractalisation de nos sociétés, les peuples ont pris conscience du fait que ceux qui dirigent nos économies et notre devenir ont depuis longtemps démissionné, en abandonnant sur le champ de bataille des pugilats médiatiques la défense de nos valeurs et de l’intérêt général. Ils ont d’abord vendu à l’opinion la mondialisation heureuse et ils récidivent en mettant sur l’étal l’identité toujours heureuse… La question fondamentale n’est ni dans l’avoir, ni dans l’identitaire mais dans l’âme incarnée par une signature collective derrière des dirigeants honnêtes, désintéressés et surtout compétents. Rares sont ceux qui ont le courage de s’engager sur ce niveau de posture. La plupart préfèrent nourrir la machine à faire du bruit, ce qui permet de maintenir les opinions dans un niveau d’abêtissement, voire de manipulation, guère égalé dans l’histoire moderne, excepté pendant les guerres où la propagande et la désinformation constituent une règle de gouvernance. Nous pourrions presque penser que nos dirigeants sont entrés en guerre contre leurs propres peuples…Une sorte de guerre civile où la défense des valeurs serait devenue la vraie ligne de front.
Nos peuples savent qu’aujourd’hui l’avenir, comme l’enfer, n’est pavé que de bonnes intentions avec encore plus de dettes pour monnayer la sempiternelle paix sociale, plus de déficit public pour alimenter des Léviathans devenus incontrôlables, plus de multiculturalisme pour négocier une pseudo paix civile, plus de déchristianisation pour se garantir du radicalisme religieux, plus de monétarisation pour soutenir des faux taux de croissance, plus de migrations des sous continents qui convoitent notre bien être pour compenser nos effondrements démographiques et surtout plus de sécurité pour obtenir enfin ce « risque zéro » qui nous obsède tant. Dans les faits toutes ces gesticulations, pour ne pas dire ces impostures stratégiques, ne font que générer de la division, voire de la haine, et accélérer la destruction du modèle qui nous sert de socle et de référentiel.
La déconstruction de l'hégémonie occidentale
Dans ce contexte qu’importe que la France soit heureuse ou malheureuse, elle n’est plus ce qu’elle fut et elle ne sait plus où elle va ! Le spectacle absolument consternant offert par l’égo de nos dirigeants, qui se complaisent dans des joutes fratricides par médias interposés, ne contribue pas à résoudre les niveaux de défiance atteints au sein de notre semblant de démocratie, sur fond de monarchie républicaine. Vu le temps qu’ils passent sur les plateaux de télévision et sur Twitter pour « se raconter » nous pouvons honnêtement nous interroger sur le temps qu’ils consacrent réellement à leurs missions….Bien entendu la formulation de tels constats est forcément inacceptable au regard des conventions politico-médiatiques. Jamais l’encéphalogramme n’a été aussi plat sur les plans philosophiques, littéraires, artistiques et encore plus politiques alors que la situation exige plus que jamais d’être réaliste, imaginatif, audacieux et responsable. Mais il semble qu’il ne peut y avoir de place que pour des optimistes béats ou des pessimistes accrédités… Or la réalité est impitoyable !
Cette réalité, c’est celle d’une longue déconstruction de l’hégémonie oligarchique occidentale qui est entamée depuis plusieurs décennies, bien avant la chute du mur de Berlin ou le 11 septembre qui ne sont que des étapes. Nous feignons chaque fois d’être pris de court. Certes l’effet de surprise est constitutif des crises et il n’est pas interdit de se tromper. Il est plus difficile d’admettre la récidive et il est préférable de ne pas s’obstiner dans l’erreur. Le Brexit, l’élection de Trump, n’ont rien de surprenants sauf pour ceux qui ne voyagent pas, qui n’écoutent pas et qui « savent » mieux que ceux qui vivent dans les pays concernés. Demain, la sortie de l’Allemagne de l’Euro, après demain, l’implosion des pays du bassin méditerranéen et le retour d’un califat ottoman sont autant de scénarios inconcevables mais fortement probables. Allons-nous continuer à pleurnicher chaque fois qu’il y a selon la terminologie des clercs « une surprise stratégique » ou bien faire preuve de lucidité et « d’anticipation stratégique » ? Souvent le discours sur les effets de surprise dans les crises ne fait que révéler les niveaux d’enfermement de la pensée, les blocages idéologiques, l’obsolescence des filtres de raisonnement et la pauvreté des grammaires utilisées dans les évaluations des situations. Les deux fausses surprises que nous connaissons avec le Brexit et l’élection de Trump sont la caricature de ces dérives. Pourtant ces deux évènements, comme ceux qui vont suivre, s’inscrivent dans un temps long : celui des conséquences de la résignation face au nihilisme contemporain, de la démission en termes d’exercice de la puissance et de l’auto destruction de notre mode de civilisation.
Un constat difficile à assumer
Ne nous méprenons pas le Brexit n’est qu’un pis aller pour sauver la perfide Albion du suicide européen. Trump ne sera ni Superman ni Batman pour sauver l’oncle Sam des maléfices du « système ». S’il arrive à éviter aux Etats-Unis un effondrement financier ce sera déjà de l’ordre de l’exploit. La sortie à venir de l’Allemagne de l’Euro, voire un rapprochement stratégique avec la Russie, sont inhérents à la fin imminente des accords de Yalta et à cette nostalgie de la Sainte alliance que nous ne pouvons plus sous-estimer. Les scénarios inconcevables ne manquent pas. La situation n’exige ni la force du gladiateur ni l'âme du poète. Elle demande juste de la force d'âme pour réinsuffler cette espérance perdue et cette intuition stratégique qui nous font défaut face à un monde en profonde transformation. Les solutions ne sont pas uniquement dans les mirages des ruptures technologiques et dans les miroirs aux alouettes des économistes. Elles sont dans la robustesse de nos socles de valeurs, la résilience de nos modes de pensée et dans les fondements chrétiens de notre civilisation. Il faut choisir entre le suicide collectif et la renaissance de notre civilisation. Entre les deux il faut juste réapprendre à survivre avec les réalités d'un monde en déconstruction dans lequel la position de chaque acteur est de nouveau négociable. C'est pour cela que nous ne sommes qu'au tout début d'une certaine intensité sismique sur le plan géostratégique que nos experts qualifient mollement d’incertitudes.
Ce constat n’est pas évident à entendre et à admettre pour des sociétés opulentes, déconnectées des réalités du monde, dépressives et désenchantées, qui ont privilégié le principe de précaution à la prise de risque, l'angoisse au courage. Notre défi est maintenant de trouver les hommes et les femmes qui auront le courage de mettre les vraies questions à l'agenda et qui sauront incarner cette force d'âme indispensable avec droiture, abnégation et détermination. Les échéances électorales qui arrivent en Europe vont constituer à ce titre un formidable rendez-vous stratégique. Soit ce sera celui courageux de la responsabilité et de la lucidité. Soit ce sera celui infantile de la poursuite des dénis, de la fuite en avant et de l'imposture. N'oublions pas, quels que soient les discours sur le réveil des peuples, que nous sommes toujours à un moment jugés par l'Histoire, et que les générations futures ne nous pardonneraient pas nos défauts de lucidité et notre lâcheté sous le prétexte que nous aurions été surpris.