Le 8 avril 2025, la commission d’enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l’eau en bouteille a lâché une bombe politique. L’Élysée aurait « ouvert les portes de ministères » à Nestlé Waters, tout en ayant pleinement connaissance des pratiques illégales de traitement de ses eaux minérales. Un fait d’une gravité inédite, dénoncé avec force par le rapporteur Alexandre Ouizille. L’affaire secoue le sommet de l’État, où silences, rendez-vous privés et refus de comparaître jettent une ombre sur les responsabilités de la présidence.
Scandale des eaux minérales Nestlé : l’Élysée savait

Une série d’échanges documentés entre l’Élysée et Nestlé Waters
Le cœur du scandale des eaux minérales Nestlé réside dans une série d’échanges documentés entre des hauts responsables de l’Élysée et les dirigeants de Nestlé Waters, la filiale du géant agroalimentaire suisse. Dès 2022, la présidence aurait été informée des contaminations bactériologiques, voire virologiques affectant certains forages de la marque, notamment à Perrier et Hépar. Dans une déclaration tranchante, le sénateur socialiste Alexandre Ouizille a accusé, dans des propos rapportés par Le Figaro : « La présidence de la République savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis plusieurs années ».
Pire encore : « Elle avait conscience que cela créait une distorsion de concurrence avec les autres minéraliers. Elle avait connaissance des contaminations bactériologiques voire virologiques sur certains forages ». Au lieu d’agir pour protéger la santé publique, l’Élysée aurait facilité l’accès aux cabinets ministériels. « La présidence de la République était loin d'être une forteresse inexpugnable à l'égard du lobbying de Nestlé », a encore déclaré Alexandre Ouizille.
Des rendez-vous entre Nestlé et l’Élysée
Le rapport de la commission s’appuie sur 74 pages de documents internes transmis par l’Élysée elle-même. Ces documents font état d’un calendrier de rendez-vous, de courriels et de notes ministérielles étalés entre 2022 et 2024, en pleine crise sanitaire sur la qualité des eaux en bouteille.
Le 10 octobre 2024, alors que la création de la commission d’enquête était déjà publique, le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler recevait encore Laurent Freixe, nouveau directeur général de Nestlé, accompagné de Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters. Quelques jours plus tard, le 14 octobre, le lobbyiste de Nestlé Nicolas Bouvier relançait directement le secrétariat de M. Kohler, qui s’était engagé à faciliter des contacts clés au sein des ministères. Ce ballet d’influences révèle un lobbying toléré depuis les plus hauts sommets de l’État.
Refus de comparaître, déni présidentiel et vide juridique
Convoqué pour s’expliquer devant la commission, Alexis Kohler a refusé de comparaître, invoquant la « séparation des pouvoirs », une justification que le rapporteur qualifie d’« incompréhensible ». « L’Elysée joue la chaise vide. Cette décision instille le poison du doute et constitue un affront à la représentation nationale, et surtout un refus d’aller au bout de la vérité devant les Français » , a fustigé Alexandre Ouizille dans Le Monde. L’obstination du bras droit du président Macron pourrait bien avoir des conséquences.
L’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit que tout individu convoqué par une commission d’enquête est tenu de se présenter, sous peine de deux ans d’emprisonnement et 7500 euros d’amende. Mais la commission a choisi une autre voie : publier l’intégralité des documents transmis par l’Élysée, une première dans l’histoire parlementaire récente. Elle proposera aussi, dans son rapport attendu mi-mai 2025, une réforme de l’ordonnance de 1958 pour renforcer les pouvoirs du Parlement face à ce qu’elle considère comme une impunité politique.
Nestlé et la désinfection illégale
Ce scandale sanitaire n’est pas né d’hier. Dès début 2024, des enquêtes de Radio France et du Monde ont révélé l’usage par Nestlé de techniques interdites de traitement de l’eau : charbon actif, ultra-violets, microfiltration. Ces procédés sont proscrits pour les eaux minérales naturelles, censées être pures par essence. L’entreprise a reconnu les faits et accepté en septembre 2024 de payer 2 millions d’euros d’amende pour éviter un procès.
L’objectif affiché était la « sécurité alimentaire », mais les recommandations internes de la Direction générale de la santé (DGS) incitaient à suspendre immédiatement l’exploitation des sites incriminés, ce qui n’a pas été fait. Lors de son audition au Sénat, Muriel Lienau, présidente de Nestlé Waters, a peiné à justifier ces traitements : « Je n'ai pas la raison pour laquelle ils étaient en place », a-t-elle admis.