Epargne des Français : après le livret Défense, le livret Hôpital ? Et ensuite ?

Après des décennies de coupes budgétaires, le gouvernement cherche une nouvelle solution pour financer l’hôpital public. La Fédération hospitalière de France (FHF) propose la création d’un “livret H”.

Jade Blachier
Par Jade Blachier Publié le 10 mars 2025 à 16h26
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L’État prélève des milliards d’euros d’impôts pour financer la santé, mais les hôpitaux publics manquent toujours de moyens. Plutôt que d’augmenter leur budget, le gouvernement propose un "livret H", un produit d’épargne destiné à compenser ce sous-financement. Alors qu’il cherche aussi à capter l’épargne des Français pour la défense, cette initiative entérine un choix politique clair : transférer aux citoyens la responsabilité du financement d’un service public essentiel.

Un hôpital public au bord du gouffre : le résultat de choix politiques assumés

L’état de l’hôpital public aujourd’hui ne doit rien au hasard. Depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs ont fait de la maîtrise des dépenses publiques un dogme, et l’hôpital a été l’un des premiers sacrifiés sur l’autel de la rigueur budgétaire. La tarification à l’activité (T2A), adoptée en 2004 sous la présidence de Jacques Chirac, a profondément transformé la logique hospitalière en soumettant les établissements à des critères de rentabilité.

Les gouvernements qui ont suivi n’ont fait qu’aggraver cette situation. Entre 2012 et 2023, la France a fermé près de 100 000 lits d’hospitalisation complète, sous prétexte d’optimisation et d’efficience. Pendant ce temps, les besoins n’ont cessé de croître : vieillissement de la population, explosion des maladies chroniques, crise des urgences... Les hôpitaux n’ont plus les moyens de faire face.

Aujourd’hui, près de 40 % des établissements publics sont dans l’incapacité d’investir dans de nouveaux équipements. Dans certains hôpitaux, les IRM et scanners sont obsolètes, les blocs opératoires manquent de matériel de pointe et des services entiers ferment faute de personnel. Loin d’être une surprise, cette situation est la conséquence directe de choix budgétaires assumés.

Le concept du "livret H" 

Face à cette impasse financière, la FHF propose la création d’un "livret H", un placement sécurisé permettant aux Français d’investir leur épargne au bénéfice des hôpitaux. Ce modèle est directement inspiré du Livret A, qui finance depuis longtemps le logement social.

En apparence, cette initiative semble vertueuse : elle permettrait d’allouer rapidement des fonds aux établissements hospitaliers, sans passer par les lourdeurs administratives de l’État. Mais dans les faits, cette proposition pose une question de fond : pourquoi l’hôpital public, censé être un pilier du service public financé par l’impôt, devrait-il quémander l’épargne des citoyens pour assurer son fonctionnement ?

Ce système enterre l’idée que la santé ne relève plus entièrement de la solidarité nationale, mais devient une cause à laquelle chaque citoyen est invité à contribuer, comme une œuvre caritative. Pourtant, l’hôpital public est censé être un droit, financé collectivement.

Une épargne convoitée pour d’autres priorités gouvernementales

Le "livret H" ne surgit pas dans un vide politique. Il intervient au moment où le gouvernement explore diverses pistes pour ponctionner l’épargne des Français, estimée à 5 000 milliards d’euros. L’exécutif réfléchit notamment à la mise en place d’un "livret D" (pour Défense), destiné à financer le réarmement de la France face aux tensions géopolitiques croissantes.

Lors de son allocution du 5 mars 2025, Emmanuel Macron a laissé entendre qu’un effort budgétaire serait demandé aux Français. L’idée de mobiliser leur épargne pour la défense a rapidement émergé, même si Bercy a tenté de rassurer en affirmant qu’il n’y aurait pas d’obligation. Si l’on suit cette logique, l'Etat pourrait bientôt créer des livrets pour plusieurs secteurs sous-financés

Les Français doivent-ils payer deux fois pour leur hôpital ?

Derrière la proposition du "livret H", c’est la question du rôle de l’État qui est en jeu. L’hôpital public est en partie financé, en théorie, par les impôts que chaque citoyen paye déjà. Or, plutôt que d’augmenter les budgets alloués à la santé, le gouvernement semble chercher des solutions alternatives, qui reviennent à faire appel à la bonne volonté des épargnants.

Cette approche pose un problème politique majeur : en demandant aux Français de financer eux-mêmes leurs hôpitaux, l’État reconnaît implicitement qu’il ne souhaite pas en assumer pleinement la charge. Pourtant, le budget de la santé représente déjà une part significative des dépenses publiques. Pourquoi ne pas commencer par une révision des priorités budgétaires avant de demander un effort supplémentaire aux citoyens ?

La question des économies potentielles est rarement abordée par le gouvernement. Pourtant, plusieurs secteurs de dépenses pourraient être optimisés avant d’envisager un recours à l’épargne populaire. L’État dépense chaque année des milliards d’euros en subventions diverses, en dépenses administratives parfois opaques et en projets peu rentables.

Le "livret H" : un symbole du désengagement de l’État ?

Le projet du "livret H" révèle une tendance inquiétante : celle d’un État qui, au lieu d’assumer ses responsabilités, délègue de plus en plus le financement des services publics aux citoyens eux-mêmes. L’hôpital public n’a pas besoin de charité, il a besoin d’une politique de santé ambitieuse et d’un financement à la hauteur des besoins.

Si ce projet venait à voir le jour, il pourrait marquer un tournant dans la manière dont l’État gère les services publics. Aujourd’hui, c’est l’hôpital qui quémande des fonds auprès des épargnants. Demain, ce pourrait être l’éducation, les transports, la justice.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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