Il y a tout juste un an, Recep Tayyip Erdogan décidait de reconvertir l’église Sainte-Sophie - devenue un musée en 1934 et considéré comme patrimoine mondial de l’humanité, en mosquée. La semaine dernière, la Turquie quittait un traité sur les violences faites aux femmes. Dans l’édition du mois de juin 2021 du Monde diplomatique, une enquête révèle comment Istanbul est devenue depuis une dizaine d’années une terre d’accueil pour les exilés politiques et les intellectuels de la mouvance frériste.
Le président turc semble faire du charme à tous les déçus de l’Islam modéré, multiplie les provocations à l’égard de l’Europe et a donné, à travers le temps, une coloration autoritaire et rigoriste à son gouvernement.
Impopularité de Recep Tayyip Erdogan
Mais ces « coups d’éclats » ne doivent pas faire oublier une réalité toute autre : dans son propre pays, Erdogan affronte une très importante baisse de popularité. La récession économique que connaît la Turquie n’aura certes pas aidé. Le parti religieux et conservateur AKP (Parti de la justice et du développement) du président turc ainsi que son allié MHP décrochent dans les sondages. L’impopularité d’Erdogan grandit depuis le déclenchement de la pandémie. D’après une récente étude de l’institut de sondage Istanbul Economic, 52,5 % des Turcs choisiraient le très populaire maire d’Ankara, Mansur Yava?, contre 38,1 % pour le président sortant lors d’un second tour présidentiel.
Depuis 2004, Erdogan aura pourtant tout fait pour imposer son leadership au sein du parti et écarter toute autre personnalité qui aurait pu lui faire de l’ombre. « Le président a déjà fait le vide dans son parti depuis une quinzaine d’années : très collégial, l’AKP est devenu un parti centré autour de la personnalité d’Erdogan. Il étend maintenant cette stratégie à tous ses rivaux politiques » explique Ahmet Insel, professeur à La Sorbonne et à l’Université de Galatasaray à Istanbul.
Expansionnisme régional : le cas libyen
Pour faire oublier cette impopularité croissante, Erdogan mise depuis quelques années sur une politique étrangère conquérante et un expansionnisme régional qui inquiète les Européens. L’intervention turque en Libye par exemple, qui a démarré en 2019, peut se lire comme une volonté d’Erdogan de relancer sa popularité coûte que coûte en réveillant le nationalisme turc, et son passé ottoman.
Pour l’historien Olivier Bouquet, Erdogan instrumentalise l’Histoire à ses propres fins pour justifier son interventionnisme en Libye. Il rappelle également, dans une tribune au Monde, que « les Ottomans ne contrôlèrent la Cyrénaïque et la Tripolitaine que sur ses côtes, et tardivement (…), et difficilement ». Selon lui, le président turc veut réveiller l’égo blessé de la nation turque qui se serait forgée dans le « traumatisme de la peau de chagrin ottomane », reprenant la formule de l’historien Stéphane Yerasimos.
L’activisme du maréchal Haftar pour contrer les forces turques
C’est pourquoi la Turquie apporte dès janvier 2020 un soutien militaire de taille au Gouvernement d’union nationale (GNA), en vertu d’un accord signé en novembre 2019. D’après le think tank International Crisis Group, cet appui est de 100 officiers turcs, 2 000 miliciens des groupes de rebelles syriens, ainsi qu’un appui maritime et aérien. Un déploiement militaire décisif dans le conflit qui oppose le GNA aux troupes du Maréchal Haftar. Mais ce dernier, homme politique incontournable du pays depuis une cinquantaine d’années, ne compte pas en rester là.
Personnalité de premier plan en Libye, Khalifa Haftar est connu pour avoir lutté contre le terrorisme à l’Est et au Sud du pays et avoir repris Benghazi aux Islamistes. Refusant l’ingérence turque, le Maréchal Haftar multiplie les prises de contact avec ses soutiens dans la région afin de maintenir son influence au sein d’un pays dont il contrôle déjà, dans les faits, les ¾ du territoire. Son objectif à terme : maintenir la sécurité et la souveraineté d’un pays ravagé par dix ans de guerre civile. L’Armée nationale libyenne (ANL) qu’il dirige a d’ailleurs récemment annoncé vouloir « traquer les forces terroristes » et les « gangs mercenaires africains » dans le Sud-Ouest du pays.
Récemment, la conférence internationale sur la Libye, organisée sous l’égide de l’ONU, qui se tenait à Berlin le 23 juin dernier, et à laquelle Khalifa Haftar n’était pas invité, appelait au départ des « forces étrangères » occupant le pays : mercenaires russes, Tchadiens, Soudanais… Turcs ? Ces derniers « se sont battus jusqu’au bout pour éviter toute référence dans la déclaration finale à la formule ‘forces étrangères’ pour ne conserver que celle de ‘combattants et mercenaires étrangers’ », aurait déclaré une source diplomatique française.
« L’erdoganisme est un ‘anti-impérialisme nationaliste’, (…) à la fois anticolonial et néo-ottoman, islamiste et kémaliste, nationaliste et généalogique » résume Olivier Bouquet. Une chose est sûre : l’erdoganisme consiste surtout à se maintenir au pouvoir.