Le Front National joue avec la démocratie

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Par Michel Wievorka Modifié le 19 mars 2015 à 9h02
Front National Elections Parti Politique

En trois ans, le FN a modifié son discours politique sur plusieurs plans, qui n’ont rien d’antidémocratiques en eux-mêmes. Il se présente comme le parti des "oubliés" et des "invisibles", ces ouvriers ignorés et délaissés.

Il se dit républicain et laïque –habillant son hostilité vis-à-vis des musulmans et des immigrés sous les vêtements nouveaux pour lui des valeurs universelles. Il se veut moderne culturellement, sensible à l’égalité hommes-femmes, en partie pour les mêmes raisons : l’islam n’est-il pas au contraire une religion qui traite les femmes moins bien que les hommes ?

Le FN et l'Etat fort

Il n’est pas indifférent à l’idée d’un Etat fort, re-distributeur. Son nationalisme est lourdement chargé d’une thématique anti-européenne et anti-euro qui le rapproche vis-à-vis de Syriza, la gauche grecque. Sa présidente afficher une certaine respectabilité et semble vouloir se démarquer de l’antisémitisme et du racisme si prégnant au sein du parti.

Le FN est ainsi sous tension, il fait des efforts pour paraître respectable, digne d’emporter des élections démocratiques, et d’entrer pleinement dans le système politique français, mais sa réalité interne demeure à bien des égards sulfureuse, raciste, xénophobe et antisémite. Sa stratégie est conforme aux règles de la démocratie. Elle vise, de bas en haut à obtenir des élus sur le terrain et à construire un appareil quadrillant le territoire national.

Un parti qui déstabilise la droite classique

Ses bons résultats déstabilisent la droite classique, avec d’un côté ceux qui trouvent possible de passer alliance avec lui, voire de le rejoindre, et d’un autre côté ceux qui maintiennent une opposition radicale à ses idées. Il vient aussi témoigner d’une lenteur, voire d’une incapacité de la gauche à prendre à bras le corps le défi qu’il incarne. Il est dès lors attaqué sur le terrain des valeurs démocratiques.

Or le FN, en soulignant l’échec politique, économique, social de la droite comme de la gauche et en mettant en avant un programme, aussi nul qu’il soit, appelle des réponses de politique économique et sociale que des invectives morales ne sauraient fournir. Le FN demeure un parti antisémite, raciste, xénophobe, désireux d’une société fermée et d’une nation homogène ; mais ceux qui votent pour lui sont d’abord des électeurs excédés par les carences, les échecs, les promesses non tenues et l’arrogance des acteurs politiques en place. Il exprime les difficultés présentes de la démocratie, et pourrait porter en lui une société non démocratique, mais il ne se comporte pas, pour l’instant, de façon anti-démocratique.

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Michel Wieviorka est directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et administrateur de la Fondation maison des sciences de l’homme (FMSH). Il est par ailleurs membre du conseil scientifique de l’European Research Council et fondateur de la revue Socio. Ses recherches ont porté ou portent sur la notion de conflit, le terrorisme et la violence, sur le racisme, l'antisémitisme, sur les mouvements sociaux, la démocratie ainsi que sur les phénomènes de différence culturelle. Il est notamment l'auteur de "Le Front national, entre extrémisme, populisme et démocratie", Paris, Éditions de la maison des sciences de l’homme. 

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