Le 16 avril 2025, la fédération France Chimie a dévoilé un constat glaçant. À l’heure où la guerre commerciale entre Washington et Pékin prend une nouvelle ampleur, l’industrie chimique française se retrouve assiégée. Des dizaines de sites menacés, des milliers d’emplois sur la sellette, et une Europe… qui observe. Depuis des mois, les dirigeants de la filière tirent la sonnette d’alarme.
Guerre commerciale : l’Europe regarde-t-elle mourir sa chimie ?

Libre-échange ou abandon organisé ?
« La chimie est prise en étau entre les États-Unis et la Chine. » Cette phrase, prononcée par Frédéric Gauchet, président de France Chimie, lors de l’assemblée générale du 16 avril et relayée par Connaissance des Énergies, résonne comme un réquisitoire. Et pourtant, ce n’est pas la première fois que les industriels dénoncent l’asymétrie commerciale dans laquelle l’Europe s’est enfermée.
Car pendant que les deux géants mondiaux s’imposent de nouveaux droits de douane — 25 % sur les produits chimiques importés, dans un cas comme dans l’autre — leurs excédents inondent le continent européen. Pourquoi ? Parce que l’Union applique, elle, des droits de douane faméliques de 3 % sur ces mêmes produits. En clair : le Vieux Continent paie le prix fort de sa foi aveugle dans le libre-échange.
Et ce n’est pas un simple ajustement temporaire. France Chimie estime que 15 à 30 milliards d’euros de produits chimiques américains et chinois pourraient affluer vers l’Europe, menaçant 200 à 350 usines sur le continent, dont 47 en France, selon Les Echos.
À Paris comme à Bruxelles : le syndrome du parapluie fermé
Face à cette avalanche, la réaction européenne ressemble à une attente résignée. À Bruxelles, Kristin Schreiber, représentante de la Commission européenne, a annoncé qu’un plan d’action pour la chimie serait présenté « d’ici la fin de l’année ». Une échéance à peine croyable alors que l’incendie a déjà commencé. « Le but n’est pas de déréguler, mais de simplifier et de moderniser », a-t-elle expliqué — une formule trop lisse pour masquer la vacuité des mesures immédiates.
Et à Paris ? Le gouvernement français soutient officiellement la chimie. Mais dans les faits, les industriels déplorent l’absence de stratégie nationale cohérente, entre fiscalité lourde, charges réglementaires rigides et prix de l’énergie étouffants. Pierre Luzeau, PDG de Seqens, n’y va pas par quatre chemins : « Nous sommes face à un risque d’extinction de notre industrie. » Pour lui, le pacte vert européen est « à côté de la plaque » s’il ne tient pas compte du besoin d’un tissu industriel solide pour assurer la transition écologique.
Réagir ou disparaître : une souveraineté en suspens
Le dumping n’est pas un phénomène nouveau. Mais il devient un outil stratégique, employé par les puissances étrangères pour écouler leurs stocks en dehors des zones taxées. Et l’Europe, avec ses portes grandes ouvertes, devient leur terrain de jeu.
Frédéric Gauchet précise dans Connaissance des Energies : « Le dumping existe partout », mentionnant notamment les États-Unis et l’Égypte dans le domaine du PVC. Et pendant ce temps, le taux d’utilisation des capacités de production européennes plonge en dessous des 80 %, soit sous le seuil de rentabilité. Résultat : chiffre d’affaires en baisse, fermetures imminentes, et un réseau industriel qui se délite.
Dans cette débâcle, la France est en première ligne, car elle concentre nombre de sites historiques, notamment dans la chimie de base : acide nitrique, solvants, polymères... Des piliers techniques sans lesquels des pans entiers de l’industrie — automobile, pharmacie, agroalimentaire — ne peuvent fonctionner. « Il est possible qu’il n’y ait plus du tout de production d’acide nitrique en Europe si on ne fait rien », avertit Gauchet.
Vers un protectionnisme stratégique ou un renoncement industriel ?
La question n’est plus de savoir si la chimie européenne va souffrir, mais jusqu’à quel point. Et surtout : que reste-t-il de la souveraineté industrielle d’un continent qui n’a pas su se défendre ?
Dans ce contexte, les appels à un protectionnisme stratégique ne sont plus tabous. Benoît Decouvelaere, cadre de TotalEnergies, le martèle : « 30 à 40 % de nos coûts de production sont liés à l’énergie. » Tant que les tarifs européens ne sont pas réalignés, les entreprises continueront à plier. L’enjeu dépasse la chimie. Il touche à l’indépendance économique. À la capacité de produire sur le sol européen. À la survie d’un modèle.
Alors, combien de fermetures faudra-t-il encore avant que Bruxelles comprenne que le libre-échange, sans réciprocité, n’est qu’un suicide lent ?