Harvard face à Trump : quand la politique s’invite dans le financement public

Un gel massif de subventions publiques, une plainte inédite d’une université contre le gouvernement fédéral, et une querelle idéologique qui déplace les lignes : l’affaire Harvard-Trump expose crûment les tensions entre pouvoir politique et autonomie institutionnelle aux États-Unis.

Adelaide Motte
By Adélaïde Motte Published on 24 avril 2025 16h30
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Harvard face à Trump : quand la politique s’invite dans le financement public - © PolitiqueMatin

Le 21 avril 2025, Harvard a porté plainte contre l'administration Trump, accusant le gouvernement de bloquer arbitrairement 2,2 milliards de dollars de subventions fédérales. Derrière cet affrontement, une question centrale : jusqu'où l'État peut-il instrumentaliser l’argent public pour imposer des choix idéologiques ? L’affaire éclaire un débat fondamental sur les relations entre pouvoir exécutif et institutions d’enseignement supérieur.

Subventions fédérales : un outil de pression politique

Aux États-Unis, les universités publiques et privées reçoivent chaque année des milliards de dollars en financement fédéral. Ces fonds soutiennent la recherche, les infrastructures, ou encore l’accueil d’étudiants étrangers. En 2024, le gouvernement fédéral a distribué près de 48 milliards de dollars aux établissements d’enseignement supérieur.

Harvard, bien qu’université privée, perçoit une part significative de ces aides, en raison de ses nombreux programmes de recherche. En avril 2025, la Maison-Blanche annonce le gel de 2,2 milliards de dollars de subventions destinées à Harvard, invoquant le refus de l’université de se soumettre à un certain nombre de « conditions de transparence ».

Les exigences de l’administration Trump

Selon plusieurs documents rendus publics par l’université et la presse, le gouvernement conditionnait le maintien des subventions à l’adoption de mesures très politiques, parmi lesquelles :

  • L’instauration d’un audit sur les recrutements afin d’assurer une « diversité de points de vue idéologiques » ;

  • Le signalement systématique des étudiants étrangers soupçonnés d’activités problématiques ;

  • La révision de programmes traitant de questions identitaires, raciales ou de genre ;

  • L’acceptation d’un contrôle externe sur les politiques internes de l’université.

Ces conditions ont été refusées par Harvard, qui dénonce une tentative de contrôle politique sur une institution académique.

Harvard riposte en justice : un cas de séparation des pouvoirs

En réaction, Harvard saisit la justice fédérale. La plainte déposée devant un tribunal du Massachusetts évoque une violation du Premier amendement de la Constitution américaine, qui protège la liberté d’expression et, par extension, l’autonomie académique.

Dans cette plainte, Harvard écrit : « Cette affaire concerne les efforts déployés par l’administration pour utiliser le gel de subventions fédérales comme un moyen pour prendre le contrôle des décisions académiques. »

L’université affirme que la décision du gouvernement est « arbitraire » et met en danger la recherche scientifique, médicale et technologique, qui n’a « aucun lien avec les reproches formulés ».

Un précédent politique lourd de conséquences

L’affaire Harvard constitue un précédent sans équivalent récent. Pour ses soutiens, Donald Trump cherche à remettre en cause ce qu’il considère comme la « domination idéologique » des élites universitaires. Pour ses opposants, il instrumentalise l’appareil d’État pour soumettre une institution indépendante à une ligne politique.

Le président de Harvard, Alan Garber, avertit : « Aujourd’hui, nous défendons l’idée que les universités peuvent remplir leur rôle dans la société sans ingérence de l’État. »

Un clivage politique assumé

Le conflit s’inscrit dans une stratégie plus large de l’administration Trump, visant à redéfinir les priorités idéologiques de l’État fédéral. Depuis son retour au pouvoir, l’exécutif multiplie les signaux adressés à son électorat conservateur : opposition aux politiques de diversité, critiques de la supposée « cancel culture », et volonté de « rééquilibrer » les institutions jugées trop progressistes. Face à cette politique, plusieurs dirigeants se rebiffent.

Le gel des subventions à Harvard s’inscrit dans cette logique. Mais il soulève aussi des interrogations constitutionnelles majeures sur les limites du pouvoir exécutif.

Vers un nouveau rapport État-universités ?

Au-delà de l’affaire elle-même, l’épisode révèle une faille structurelle : aux États-Unis, les établissements d’enseignement supérieur, même les plus prestigieux, restent partiellement dépendants de fonds publics, et donc vulnérables aux changements de cap politiques.

Une réflexion plus large sur la garantie d’indépendance des institutions est désormais engagée. Car si Harvard peut résister, d’autres universités, moins puissantes financièrement, pourraient céder aux injonctions.

L’autonomie des universités face à l’État est-elle un principe intouchable ou une variable d’ajustement selon les majorités ? L’affaire Harvard oblige désormais le débat public à trancher.

Adelaide Motte

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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