Le concept de « pays sûrs » ressurgit dans le débat européen sur l’asile, attisant les clivages entre gouvernements, partis et associations. Derrière ce nouvel outil technique de la Commission, les calculs politiques s’affichent en pleine lumière.
Immigration et asile : la liste de pays sûrs de l’Union européenne fait débat

Le 16 avril 2025, la Commission européenne a présenté une proposition inédite : une liste harmonisée de sept pays d’origine dits « sûrs ». Derrière l’objectif affiché de fluidifier le traitement des demandes d’asile se cache une décision hautement politique, dans une Europe fracturée par les tensions migratoires. Tandis que certains applaudissent une avancée attendue de longue date, d’autres dénoncent une manœuvre dangereuse, dictée par les priorités électorales plus que par l’analyse des risques.
L’Union européenne entre contrôle migratoire et stratégie de communication
Un an après les élections européennes qui ont été un succès retentissant pour les différentes droites des pays-membres, la Commission dévoile une première liste commune de pays sûrs. Avec le Kosovo, la Colombie, le Bangladesh, l’Égypte, l’Inde, le Maroc et la Tunisie, l’exécutif bruxellois porte un message clair : l’Union reprend la main sur ses frontières et accélère l’expulsion des demandeurs d’asile « infondés ».
À Bruxelles, le ton est posé mais ferme. L’initiative permettrait de réduire les délais de traitement à trois mois, contre six en moyenne, et de rendre plus efficaces les renvois, aujourd’hui massivement non exécutés. La proposition anticipe le Pacte sur la migration et l’asile, censé entrer en vigueur en 2026, mais déjà mis en œuvre par fragments. Car dans les couloirs européens, le climat n’est plus à la patience. Le glissement électoral vers les droites diverses, en France, en Italie, mais aussi en Allemagne ou en Autriche, a poussé la Commission à agir.
Applaudissements à droite, crispations à gauche
Côté gouvernements, la coalition de Giorgia Meloni a immédiatement salué « un succès du gouvernement italien ». Pour Rome, qui a multiplié les accords bilatéraux pour externaliser le traitement des demandes, cette liste valide une ligne politique fondée sur le tri préalable des migrants avant leur arrivée sur le territoire, afin de limiter les procédures d'expulsion, lourdes et peu efficaces.
En France, le gouvernement reste plus discret. Officiellement favorable à l’harmonisation, Paris s’abstient pourtant de tout enthousiasme excessif. La majorité présidentielle est tiraillée : adopter un discours ferme pourrait froisser une partie de sa base, quand rester silencieux risquerait de faire le jeu du Rassemblement national, qui, lui, a déjà dénoncé une mesure « trop timide et trop tardive ». Sur le front parlementaire, les Républicains se sont déclarés favorables à la mesure, le PS reste prudent, LFI la rejette catégoriquement, et EELV fustige l’hypocrisie d’un outil censé protéger alors qu’il ignore les réalités des pays listés.
Les ONG défendent un droit d'asile inaliénable
Face à cet affichage politique, les associations de défense des droits des étrangers montent au créneau. Plusieurs d’entre elles dénoncent un vernis technocratique masquant une remise en cause du droit fondamental d’asile. Pour Romdhane Ben Amor, porte-parole du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, il s’agit d’« une violation flagrante d’un droit humain fondamental ».
Même tonalité du côté d’EuroMed Rights, qui a déclaré sur X : « Qualifier ces pays de sûrs est trompeur et dangereux », soulignant les rapports accablants de diverses ONG internationales sur les violations des droits en Tunisie, en Égypte ou encore au Maroc.
Les juristes, eux, relèvent l’ambiguïté d’une procédure à deux vitesses. Si la Commission insiste sur l’examen individuel des situations, le statut de "pays sûr" introduit une présomption défavorable. Dans un système administratif déjà saturé, cette présomption pourrait se transformer, en pratique, en rejet automatique ou quasi systématique.
L’arène politique française entre calculs et contradictions
En France, la question des pays sûrs est déjà utilisée depuis plusieurs années. L’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) dresse sa propre liste, distincte de celle de l’Union. Mais avec cette harmonisation, l’Europe pourrait éviter que les ressortissants de certains pays ne tentent leur chance dans des pays jugés plus permissifs.
Là encore, les réactions trahissent les clivages politiques : le Rassemblement national déplore le maintien des voies de recours individuelles ; la gauche radicale dénonce une politique du soupçon généralisé, tandis que les partis centristes jouent la prudence, craignant un effet boomerang à l’approche des scrutins de 2026.
Au sein du tissu associatif français, l’inquiétude est palpable. Nombre d’acteurs redoutent un effet domino : moins de temps pour constituer un dossier, plus de refus, plus de déboutés… donc plus de précarité, et à terme, davantage de tensions locales autour de populations en situation irrégulière.
Une décision en suspens : rien n’est encore adopté
La liste n’a cependant pas encore de valeur contraignante. Elle doit être validée par le Parlement européen et les États membres. D’ici là, les négociations s’annoncent musclées. Certains pays comme l’Espagne ou les Pays-Bas pourraient réclamer des garanties ou demander des modifications.
Et si la Commission parle d’une liste « dynamique », c’est bien parce qu’elle sait que rien n’est figé. Un changement de régime politique, une détérioration des droits dans l’un des pays listés, et tout l’édifice pourrait vaciller.