Après les Républicains de Nicolas Sarkozy, voici les Démocrates de Jean-Marie Le Guen. Dans sa tribune publiée dans le journal Le Point le 21 juin, le secrétaire d'État aux relations avec le parlement propose une "rupture historique" en reléguant la question sociale, au cœur du logiciel politique des gauches, dans l’arrière- cour "d’un nouveau compromis social et républicain" pour lui substituer la défense de notre "modèle de civilisation" et des valeurs de la République.
Pourtant, il me semble que la rupture idéologique a déjà bien eu lieu en 1983 lorsque François Mitterrand amorçait le « tournant de la rigueur » et renonçait à la rupture avec le capitalisme qui constituait le fondement du programme commun de la gauche et de celui du parti socialiste « Changer la vie ». Les privatisations succédant aux nationalisations symbolisaient alors le ralliement à l’idéologie néolibérale dominante. Mais si la France devait déjà faire face aux contraintes d’un monde en voie de globalisation, les socialistes n’entendaient pas pour autant faire de la réduction des inégalités une question subalterne. De 1997 à 2002 avec la gauche plurielle, Lionel Jospin et Martine Aubry ont en dépit de nouvelles privatisations et de la naissance de l’euro réalisé de nouvelles avancées sociales.
Alors qu’il y a 630 000 chômeurs de plus depuis l’arrivée de François Hollande au pouvoir, que les inégalités sociales et en particulier patrimoniales s’aggravent, que l’école a toujours autant de difficultés à donner les mêmes chances à tous, qu’il y a un « apartheid territorial, social, ethnique » selon Manuel Valls, je pense au contraire que la question sociale doit demeurer le moteur de l’unité des socialistes, du rassemblement de la gauche aujourd’hui dispersée mais aussi la condition du succès de la gauche pour 2017.
Bien entendu l’unité du peuple français derrière les valeurs de la République est nécessaire et fait partie des objectifs partagés par toute la gauche. Depuis le début de l’année et les attentats islamistes, ce doit être une exigence qui devrait s’imposer en premier lieu aux élites politiques de la nation. Comment N.Sarkozy peut-il encore donner la leçon après avoir mis à mal la sécurité intérieure du pays en ayant réduit les effectifs de policiers et de gendarmes ? Je pense pour ma part que la défense républicaine et la cohésion nationale exigent le renforcement et non l’affaiblissement de la cohésion sociale.
Mais l’adhésion des Français ne se décrète malheureusement pas dans une société sans boussole L’Europe apparaît aujourd’hui comme un trou noir dont nulle lumière ne peut s’échapper. Alors que la France sera dans trente ans le pays le plus peuplé de l’Union Européenne, que Syriza est arrivé au pouvoir en Grèce et que Podemos peut gagner en Espagne, la France agit toujours aussi timidement sur la scène continentale et ne se donne pas les moyens de peser sur la réorientation de la doxa économique dominante. Bruxelles persiste à imposer ses réformes qui minent le pacte social donc le pacte républicain et qui accélèrent la progression dangereuse des populismes et des nationalismes.
La logique présidentielle de la Vème république renforcée par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral épuise la confiance des citoyens lorsque les engagements pris ne sont pas tenus. Le pacte de responsabilité n’était pas dans le programme de campagne contrairement à la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG qui ne sera pas mise en œuvre. La loi Macron qui revient sur des acquis sociaux essentiels pour débloquer l’économie a été votée avec l’outil brutal du 49-3.
Dès lors la proposition de JM Le Guen « d’inventer un projet qui la dépasse » n’est en rien moderne. Elle est une imposture qui renvoie la gauche au début du XXième siècle et au débat qui opposait Clemenceau et Jaurès. Les deux hommes ont été de grands républicains mais la question sociale les séparait. Alors que Clemenceau au pouvoir fait le choix privilégié de l’autorité et de l’ordre sans le social, Jaurès a été dès le début un républicain ouvert à la question sociale. Il s’est affirmé ensuite comme un socialiste révolutionnaire tout en restant fidèle à la démocratie républicaine. On connaît l’admiration que Manuel Valls porte « au modeste ouvrier des cathédrales » que Clemenceau raillant Jaurès et son « palais de féérie » prétendait être. S’il n’a pas gouverné, Jaurès qui parlait dans L’Armée nouvelle de consolider « le ressort moral et social » de la nation avant la Première Guerre mondiale a largement inspiré le modèle social français.
Les socialistes veulent-ils un avenir qui les réduirait à n’être plus qu’un parti démocrate social-libéral, sans perspective de transformation sociale, c’est le sens du projet politique de Jean-Marie Le Guen ? Ou bien considèrent –ils que le modèle de civilisation que nous avons à défendre ensemble nécessite à la fois un ordre républicain équilibré entre l’autorité et la liberté et un ordre économique et social juste qui ne peut pas être l’ordo-libéralisme européen d’aujourd’hui, ce devrait être le projet des socialistes ?