
L’événement qui a servi d’étincelle déclencheur du génocide des Tutsis (18) s’est produit entre 20 heures et 20 h 20, heure locale, dans la soirée du 6 avril 1994. L’avion Dassault Falcon qui transportait les présidents du Rwanda et du Burundi a été frappé alors qu’il effectuait son approche finale sur la piste de l’aéroport de Kigali. Le premier missile sol-air a arraché une aile. Le second missile a touché la queue. L’avion a pris feu et explosé lors de l’impact dans le jardin du palais présidentiel.
La controverse fait toujours rage sur la question de savoir qui a abattu l’avion. Certains prétendent qu’il s’agissait de forces loyales au général Paul Kagame. « Le général Kagame n’étant pas satisfait du résultat des pourparlers de paix qui se tenaient à Arusha, suggèrent-ils, il a abattu l’avion en sachant pertinemment que cela déclencherait des représailles contre les Tutsis au Rwanda, mais ça lui permettrait de prendre le contrôle du pays. » Si cela est vrai, alors Kagame est complice du génocide de son propre peuple.
D’autres, cependant, soulignent les failles de cet argument. Les pourparlers de paix semblaient donner au Tutsi du FPR, qui ne représentait que 15 % de la population, plus qu’il n’aurait pu espérer : une représentation de 40 % dans l’armée et un gouvernement de coalition dans lequel il jouerait un rôle de premier plan. Par ailleurs, les deux missiles qui ont abattu l’avion présidentiel ont été tirés depuis la caserne abritant la Garde présidentielle et d’autres unités dites fidèles au régime en place.

Ce qui est irréfutable, c’est que la destruction de l’avion a marqué le début du massacre le plus sanglant depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au Rwanda, en cent jours seulement, environ huit cent mille Tutsis et cinquante mille Hutus ont été assassinés (19). Parfois, il y avait plus de meurtres par jour au Rwanda que dans les trois usines de mort réunies qu’étaient les camps nazis de Belzec, Sobibor et Treblinka.
Je suis arrivé au Rwanda environ un mois après le début des tueries. Je fus nommé coordinateur humanitaire adjoint de l’ONU. Gromo Alex s’était donné beaucoup de mal pour me persuader de le rejoindre. Ce qu’il se passait au Rwanda était, avait-il insisté, au-delà de tout ce que je pouvais imaginer. La plupart des internationaux des Nations unies avaient décampé à Nairobi, et il avait besoin de soutien.
Cette partie de mon récit s’appuie sur ce que j’ai vécu, sur des déclarations de témoins et d’autres documents juridiques, sur des conversations que j’ai eues pendant et après le génocide, et sur mes propres recherches. La plupart des témoins ont été présentés auparavant. Il s’agit notamment de Gromo Alex, l’humanitaire des Nations unies qui n’a jamais hésité à dire ce qu’il pensait ; l’enseignant devenu rebelle, le lieutenant Fiacre Mboki du Front patriotique rwandais ; et le père Vjeko Curic, le prêtre franciscain d’origine bosniaque qui dirigeait une école paroissiale près de Kabgayi. Un témoin supplémentaire et très significatif est Josette Umutoniwase, la seule parmi ce groupe qui ait été victime et rescapée du génocide.