À l’heure où la campagne présidentielle de 2022 commence, les promesses fusent de toute part pour « renationaliser » le réseau autoroutier français. Entre approximations et clientélisme, la grande foire des promesses électorales a bel et bien commencé.
« Pour commencer tout de suite les investissements de l’après-pétrole, je vous propose que notre première décision soit la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes », lance dans un tweet de l’ex-socialiste Arnaud Montebourg au moment de l’annonce de sa candidature à la présidentielle, début septembre. Son programme, intitulé La Remontada de la France 2022-2027, fait feu de tout bois. À commencer par le dossier des autoroutes, dont la « renationalisation » permettrait selon lui de financer « la généralisation des voitures électriques, l’écologisation des transports en commun ou les petites lignes de train ».
Même son de cloche du côté du Rassemblement National où Marine Le Pen propose pêle-mêle de « privatiser le secteur audiovisuel public » et de « nationaliser les autoroutes ». La candidate du RN ne précise pas comment elle fait ses calculs, mais cette « renationalisation » permettrait selon elle de « faire baisser de 10 à 15 % le prix des péages » et de renflouer le Trésor public de « 1,5 milliard d’euros par an ». Montebourg et Le Pen sur la même longueur d’onde ? En période électorale, tout est possible. Mais un menu problème subsiste : rompre les contrats coûterait 47 milliards d’euros à l’État, comme l’a expliqué le ministre délégué aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, devant le Sénat en mai dernier. Comment payer la note ? Ni Montebourg ni Le Pen n’avance de solution.
Une fausse bonne idée ?
« Renationaliser les autoroutes françaises, une fausse bonne idée ? », titrait récemment un édito de RTL. Cette question mérite d’être posée, loin des promesses électorales. Et tout d’abord d’être reformulée, car il ne s’agit pas d’une « renationalisation » à proprement parler. Le réseau est toujours la propriété de l’État puisqu’il n’a pas été privatisé, mais concédé. Les contrats de concession aux entreprises privées signés au début des années 2000 précisent que les SCA (sociétés gestionnaires d’autoroutes) ont la charge des investissements, de la gestion et du rendu « en bon état » du réseau en fin de contrat. Elles n’en sont pas propriétaires, point barre.
Dans les faits, l’État français a plusieurs options : attendre la fin desdits contrats, les proroger ou les résilier. C’est donc vraisemblablement cette résiliation que proposent Arnaud Montebourg et Marine Le Pen, comme d’autres acteurs de la vie publique d’ailleurs tel que le Républicain Guillaume Pelletier ou Nathalie Arthaud de Force ouvrière, arguant principalement des dividendes perçus par les entreprises privées. Pour y voir plus clair, une commission dirigée par le sénateur centriste de l’Essonne Vincent Delahaye (UDI) a remis un rapport sénatorial en 2020 concernant la gestion des autoroutes. « Il faut se mettre d’accord sur la définition de la rentabilité pour savoir à quel moment les autoroutes auront atteint la rentabilité qu’elles s’étaient fixée au départ sur les bases de la privatisation, avance Vincent Delahaye. Les sommes acquises ensuite doivent être discutées pour qu’il y ait un retour vis-à-vis de l’État et des usagers. Les sociétés d’autoroutes ont intérêt à discuter avec nous. […] Ce sont des entreprises compétentes, qui gèrent bien, mais qui si elles restent sur leur image actuelle auront peut-être du mal à avoir des renouvellements de contrat. Je suis contre la renationalisation : j’ai vu l’État gérer les masques, les tests, les vaccins. Vous pensez qu’ils vont très bien gérer les autoroutes ? Je pense que l’État ne sait pas bien gérer, il faut laisser ça à des professionnels qui savent très bien le faire. Par contre, il faut les encadrer. » Les principaux arguments des anti-concessions privées : la rentabilité de ces dernières, et leur manque d’encadrement. Penchons-nous sur ces deux aspects.
Que disent les chiffres ?
Retour en arrière. En 2006, quand les contrats en cours ont été signés, l’État a donc délégué la gestion des autoroutes à plusieurs grandes entreprises privées du BTP et des transports. A l’époque, la mise en concession a rapporté 14,8 milliards d’euros au Budget de l’État auxquels se sont ajoutés les 16,8 milliards de dette dont l’État s’est délesté, d’après les chiffres de la commission sénatoriale. Charge ensuite à ces entreprises privées de financer à la fois le fonctionnement des infrastructures et d’investir pour leur développement.
Si Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan ou Jean-Luc Mélenchon ont souvent crié au « racket des Français » et à la « vente des bijoux de famille », la réalité est tout autre du point de vue des finances publiques. Il suffit pour s’en convaincre de comprendre à quoi sert le prix des péages. D’après l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (ASFA), sur un ticket de 10 euros, 2,30 euros sont consacrés à la construction et à la rénovation du réseau, 1,10 euro à l’exploitation du réseau, 2,50 euros au remboursement de la dette de l’État épongée en 2006, et 4,10 euros partent en taxes diverses et donc dans les caisses de l’État. Depuis 2006, l’État a ainsi récolté plus de 50 milliards d’euros. Sans prendre de risque, sans investir un sou. « Les bénéfices des sociétés d’autoroutes sont utilisés pour rembourser les emprunts liés a? la construction, continuer a? développer des services innovants et rémunérer leurs actionnaires de leurs investissements, note l’ASFA. Les sociétés d’autoroutes continuent d’investir pour l’amélioration du réseau autoroutier, qui reviendra en totalité à l’État à la fin des concessions. » En cas de « renationalisation » comme le souhaitent Montebourg et Le Pen, comment l’État pourra-t-il investir dans les mobilités de demain, sans augmenter les impôts ? Aucun des deux n’a la réponse.
Dans son étude intitulée Les concessions autoroutières : au cœur des contradictions françaises, le président de l’Institut Sapiens Olivier Babeau tente de resituer le débat sur les finances : « Sur les 10 milliards d’euros de péage récoltés en 2018, plus de 4 milliards relèvent de la fiscalité. L’État est ainsi le premier bénéficiaire des péages, qui contribuent entre autres au financement des différents réseaux de transport (réseau non concédé et ferroviaire, notamment). Les revenus du péage représentent en effet plus de 50 % du budget de l’AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport de France). » Le modèle français a donc du bon.
Des activités très encadrées
La rentabilité – 3 milliards d’euros par an selon les détracteurs – des SCA et le manque d’encadrement restent les arguments nº 1 de celles et ceux qui souhaitent « renationaliser ». Dans les faits, les activités des entreprises sont corsetées par l’ART (Autorité de régulation des transports), tant au niveau de la fameuse rentabilité que du prix des péages qui lui aussi constitue souvent un argument anti-concession en période électorale : le sénateur Vincent Delahaye lui-même, au niveau local, a ainsi réclamé la suppression du péage de Dourdan sur l’A10 qui se trouve… dans sa circonscription. L’appât du gain électoral, diront certains.
En novembre 2020, l’ART s’était immiscée dans le débat avec un rapport impartial sur l’économie des autoroutes qu’Arnaud Montebourg et Marine Le Pen n’ont manifestement pas (bien) lu : « Les contrats comportent des dispositions qui protègent l’usager et le concédant durant toutes les phases : construction, exploitation et fin de la concession. […] Les dispositions relatives à la restitution de l’infrastructure concédée sont protectrices des intérêts de l’État. »
Le débat public autour des concessions autoroutières n’est évidemment pas clos, et reste très intéressant à suivre. Encore faut-il avoir toutes les données en main pour se forger un avis éclairé. Et ne pas succomber bêtement au chant des sirènes.